Page d'histoire : "Le champ de bataille d'Eylau" par Antoine-Jean Gros 1808

Le champ de bataille d’Eylau
huile sur toile du baron Antoine-Jean Gros, 1808
Paris, musée du Louvre
© RMN/Daniel Arnaudet

Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau, tableau peint par Antoine-Jean Gros et exposé au salon de 1808, est une des toiles les plus étonnantes de la période napoléonienne. En mettant en scène des cadavres gisant sur le champ de bataille au soir des combats, elle entend non pas magnifier la gloire de l’empereur victorieux, mais souligner la dureté des combats, au risque de noircir la guerre. Pourtant, oeuvre de commande, contrôlée par le  gouvernement, la toile n’a pu être réalisée sans l’aval de Napoléon. Quel était alors son but ?

Une victoire indécise
La bataille d’Eylau, livrée par Napoléon contre les Russes le 8 février 1807, a longtemps été indécise. Napoléon s’en est attribué la victoire, parce que les troupes françaises sont restées sur le champ de bataille, mais les pertes sont énormes et le sentiment de désarroi envahit tous les combattants, y compris Napoléon qui écrit au lendemain des combats à Cambacérès : « J’ai eu hier une bataille où la victoire m’est restée, mais j’ai perdu du monde. Du reste, vous verrez ces détails par le bulletin, qui est exact ». Remarque étonnante, car elle laisse entendre que ces bulletins sont habituellement arrangés. De fait, le 58e bulletin de la Grande Armée, daté du 9 février, signale après avoir fait le récit de la bataille : « Le mal de l’ennemi est immense ; celui que nous avons éprouvé est considérable », avant d’égrener la liste des officiers supérieurs tués ou blessés et d’ajouter : « Notre perte se monte exactement à 1 900 morts et 5 700 blessés, parmi lesquels un millier le sont grièvement, seront hors de service ». L’effet de cette annonce est considérable, au point que Napoléon demande que l’on atténue, dans les bulletins suivants, le bilan des pertes. Mais le choix du projet proposé par Gros montre qu’il ne souhaite pas masquer les difficultés rencontrées dans les plaines de Prusse orientale.

La commande
Dès le 2 avril 1807, Vivant Denon organise un concours en précisant le détail du programme, y compris les détails concernant les cadavres. Vingt-six artistes prennent part à ce concours. Leurs esquisses sont exposées au public. Le bulletin de police du 25 mai précise, à ce sujet, que « le public s’est porté avec intérêt à la salle où sont exposées les esquisses du champ de bataille d’Eylau ». Antoine Jean Gros emporte le concours devant Charles Meynier et Charles Thévenin. Gros est alors surtout connu pour son tableau Les Pestiférés de Jaffa, exposé au salon de 1804, et sa Victoire d’Aboukir (1806).

Gros a choisi d’accentuer le caractère réaliste de la mort fauchant les soldats. Au premier plan, des visages crispés par le froid, accentué par la présence de la neige, et par la douleur, attestent des conditions atroces de leur fin, tandis que la présence de détrousseurs de cadavres rappelle la réalité des lendemains de bataille.

Au centre de la toile, alors qu’au loin le champ de bataille fume encore, Napoléon à cheval, entouré de ses proches, matérialise la victoire des armées françaises. Mais la victoire n’empêche pas la compassion, l’empereur, en un geste magnanime, accordant sa clémence aux prisonniers russes, et s’attachant à leur dispenser des soins. Le tableau est de ce point de vue aussi, avec la présence à gauche du chirurgien Percy, un hymne à la médecine militaire. Chef de guerre victorieux, malgré les lourdes pertes subies, Napoléon apparaît ainsi en pleine humanité. Pourtant la toile, présentée en 1808, fut ensuite peu montrée au public, signe que le spectacle qu’elle mettait en scène détonait par rapport à la propagande officielle habituelle.

 

Jacques-Olivier Boudon
professeur à l’université Paris-Sorbonne
président de l’Institut Napoléon
 

Source: Commemorations Collection 2008

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