Page d'histoire : Clément Janequin Châtellerault, vers 1485 - Paris, 1558

Page de titre du Cinquiesme livre du recueil, Paris,
Nicolas Du Chemin, 1551, « cahier de Superius »
Paris, BnF, département de la musique, réserve
© cliché BnF

C’est à Châtellerault, vers 1485, que Clément Janequin, compositeur emblématique de la Renaissance française, naît. À Bordeaux, de 1505 à 1529, il sert Lancelot du Fau, vicaire général de l’archevêque, Jean de Foix puis ce dernier. Chanoine de Saint-Émilion (1525), curé de Saint-Michel de Rieufret (1526), de Saint-Jean de Mézos et diacre de Garosse (1530), il participe aussi aux soirées musicales qu’un avocat au Parlement de Bordeaux, Bernard de Lahet, organise en son logis en 1529. En 1531, le compositeur est décrit à la fois comme maître des enfants de la cathédrale d’Auch et comme « chantre du Roy », titre que lui vaut peut-être la chanson Chantons, sonnons trompetes interprétée lors du passage de François Ier et de la cour à Bordeaux en 1530. Ayant quitté la région bordelaise en 1531, Janequin s’installe alors en Anjou : à la cure de Saint-Nicolas de Brossay qu’il possède depuis 1526 et à la chapelainie de la cathédrale Saint-Maurice d’Angers dont il a la responsabilité depuis 1527, s’ajoutent bientôt les charges de curé d’Avrillé (1533) et de maître de la psallette de la cathédrale d’Angers (1534 à 1537). Durant cette période, qui reste la plus féconde de sa carrière, ses protecteurs sont François de Gondi et peut-être déjà le cardinal Jean de Lorraine. En 1548, il est curé d’Unverre, près de Chartres ; c’est aussi l’année au cours de laquelle il s’inscrit à l’université d’Angers puis à celle de Paris. Il s’installe d’ailleurs définitivement dans la capitale à l’automne 1549. Chapelain du duc François de Guise, il porte aussi, dès septembre 1555, le titre de « chantre ordinaire de la chapelle du roi » et, peu avant sa mort, survenue peut-être au début de 1558, celui de « compositeur ordinaire du roi », désignation que seul un autre musicien (Pierre Sandrin) semble avoir portée avant lui.

Compositeur prolifique, à l’affût des nouveautés, il laisse une oeuvre tout aussi originale que variée : à plus de deux cent cinquante chansons françaises, imprimées en Italie dès 1520, à plus de cent cinquante psaumes et chansons spirituelles (1549-1559), s’ajoutent encore des motets (notamment un recueil, aujourd’hui perdu, paru en 1533), deux messes composées sur ses propres chansons et un madrigal italien.

La nouveauté et le succès de ses chansons à programme (par exemple, Le chant des oiseaux, La guerre) comme de ses chansons lyriques (Qu’est-ce d’amour) s’expliquent notamment par le soin tout particulier porté à l’expression dramatique du texte, au point de casser les moules traditionnels de la chanson polyphonique. Sa maîtrise de la conduite mélodique et rythmique fait en effet de ses chansons narratives (Martin menoit son pourceau au marché) et descriptives (L’alouette, Le caquet des femmes) de véritables fresques sonores. Son oeuvre spirituelle renferme également certains traits novateurs : en témoignent les « accords non usités » qui parsèment les Octante deux pseaumes (qu’il dédie à la reine Catherine de Médicis) et qui préfigurent les expérimentations, en France, de Guillaume Costeley, entre autres. Preuve supplémentaire de sa curiosité, il est l’un des quatre compositeurs – avec Claude Goudimel, Pierre Certon et Marc Antoine Muret – à offrir des timbres polyphoniques aux célèbres Amours de Pierre de Ronsard (1552).

Nombre des poèmes qu’il met en musique n’ont pu être identifiés. Toutefois, une évolution dans les choix littéraires est perceptible : ses premières chansons reposent sur des textes anciens, du début du siècle, et sur des poèmes écrits par ses contemporains – Clément Marot, Mellin de Saint-Gelais, Claude Chappuys et leur maître, François Ier, ou l’Angevin Germain Colin Bucher ; au contraire, après la mort de Marot (1544), Janequin se tourne désormais vers les poètes de la nouvelle génération que sont Joachim Du Bellay, Jean-Antoine de Baïf et surtout Pierre de Ronsard.

Son oeuvre connaît une large diffusion, notamment en ce qui concerne les chansons profanes, en France comme à l’étranger, tant sous forme imprimée que manuscrite. Dès 1528 peut-être, peu après avoir commencé ses impressions de musique polyphonique, l’imprimeur parisien Pierre Attaingnant n’hésite pas à publier un recueil composé exclusivement de ses oeuvres, les Chansons de maistre Clement Janequin nouvellement et correctement imprimeez. Alors qu’il ne semble pas avoir été employé comme chantre du roi de France (contrairement à Sermisy, par exemple), il obtient, par le biais des éditions, le statut européen de compositeur populaire, et fait d’ailleurs partie des rares compositeurs à qui plusieurs recueils d’auteur sont consacrés.

Certaines pièces (telles que La guerre, L’alouette, Le chant des oiseaux) reçoivent des arrangements instrumentaux et vocaux, par des compositeurs tant français qu’étrangers (de Nicolas Gombert à Claude Le Jeune en passant par Philippe Verdelot). La guerre, connue aussi sous le titre La bataille, et qui célèbre peut-être la victoire de François Ier à Marignan en 1515, contribue également de façon significative au développement, à travers toute l’Europe, d’un type de musique imitant la marche militaire, le vacarme des armes et les cris des combattants.

Célébré au XVIe siècle par ses contemporains F. Rabelais (notamment dans le Quart livre), J. A. de Baïf (sonnet d’ouverture du Verger de musique, 1559), P. de Ronsard (dans la préface au Livre de Meslanges de 1560), ou encore G. Le Fèvre de la Boderie (La Galliade, 1578), il est encore apprécié au XVIIe siècle : en 1690, A. D. Philidor ouvre sa compilation manuscrite de Vieux airs par La bataille. Si son nom réapparaît ensuite dans une anthologie de musique du XVIe siècle que le collectionneur anglais T. Warren projette sans succès de publier en 1777, c’est surtout à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que sa musique connaît un regain d’intérêt : ses chansons, publiées en notation moderne parmi les premiers volumes de la longue série des Monuments de la musique de la Renaissance française, collection dirigée par Henry Expert (1898), sont aussi interprétées lors de concerts, inspirant des compositeurs français comme Claude Debussy (notamment dans Trois chansons de France, en 1904) et Jehan Alain (qui, en 1937, signe Variations [pour orgue] sur un thème de Clément Janequin). Plus récemment, en 1985, dans Les citations, pour hautbois, clavecin, contrebasse et percussion, Henri Dutilleux lui a rendu hommage.

Alors que son oeuvre spirituelle reste encore méconnue, ses chansons profanes figurent aujourd’hui parmi les musiques de la Renaissance française les plus chantées. Au-delà d’un répertoire particulier, c’est une culture, un état d’esprit teinté d’une pointe de grivoiserie qu’elles symbolisent bien souvent. La recherche constante de la meilleure adéquation entre les sonorités et les rythmiques verbales et musicales font de lui l’alter ego de Rabelais, son contemporain. Ce n’est pas un hasard si des ensembles de musique ancienne de talent ont fait des chansons de Janequin l’une de leurs spécialités : parmi eux, les très britanniques King’s Singers, dès la fin des années 1960, ou l’ensemble français Clément Janequin (fondé en 1978), ont su appréhender les subtilités et la technicité de l’oeuvre de ce compositeur d’exception, oeuvre au demeurant tout à fait originale dans le paysage sonore de la Renaissance.

 

Marie-Alexis Colin
professeure adjointe de musicologie à l’université de Montréal
Centre d’études supérieures de la Renaissance, Tours

 

1. M.-A. Colin a dédié cet article à François Lesure, spécialiste de Clément Janequin et membre du Haut comité des célébrations nationales, décédé en 2002

Source: Commemorations Collection 2008

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