Page d'histoire : L'Heptaméron de Marguerite de Navarre 1558-1559

Un prologue, soixante-douze histoires, réparties en sept journées (la huitième reste en suspens) et dites par dix personnages qui disputent après chacune, L’Heptaméron fut en France le premier recueil à l’italienne et le titre même fait référence aux dix journées du Décaméron de Boccace. Qui le lit encore ? Si les récents manuels d’histoire littéraire lui font sa place, il est quasi ignoré du public cultivé. Mais on l’a lu, et pendant longtemps.

On peut hésiter à dater son apparition dans les boutiques des libraires. Fin 1558 (le privilège est du « dernier jour d’août »), voici un livre anonyme, au titre bizarre – Histoire des amants fortunés –, et un ensemble où rien n’est en place : pas de journées bien distinctes, des histoires en désordre, mal annoncées, mal réparties entre les narrateurs, voire mal reliées aux dialogues qui suivent. L’éditeur pourtant laissait deviner l’auteur dans un éloge qui faisait écho à l’oraison funèbre de la reine de Navarre et, à s’en tenir aux récits, le texte, hors des coupures ponctuelles effaçant les propos d’allure réformée, s’accordait déjà à la « vulgate » que les modernes éditeurs déduisent des manuscrits. Mais, somme toute, ce n’était encore qu’une fausse entrée en scène.

Quelques mois plus tard à peine – l’achevé d’imprimé est du 7 avril1559 – voici L’Heptaméron des nouvelles « de Marguerite de Valois, reine de Navarre » dédié à sa fille Jeanne d’Albret. Les coupures persistaient et, s’il y avait désormais soixante-douze nouvelles comme dans les manuscrits les plus longs, trois, sans doute apocryphes, n’en venaient pas. Mais le titre était trouvé  et surtout Claude Gruget, le nouvel éditeur, pouvait à bon droit se vanter d’avoir remis le livre en son « vrai ordre ».

Avec L’Heptaméron, on va vite oublier le poète qui, de son vivant, avait  publié tant de vers souvent tournés vers Dieu. Dix ans après sa mort, voilà Marguerite devenue l’auteur de contes, de « joyeux récits », dira Balzac, bons à divertir par leur liberté. Claude Gruget, en 1559, avait dit qu’en « se jouant sur les actes de la vie humaine », la reine avait proposé de « belles instructions », mais les lecteurs vont se plaire aux histoires sans guère se soucier des débats moraux et religieux, et sans y chercher matière à réfléchir sur soi-même ni sur le monde comme il va.

 

Nicole Cazauran
professeur émérite à l’université de Paris IV-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2008

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