Page d'histoire : Naissance de la Ve République Mai 1958

Les « journées de mai » 1958 en Algérie ont provoqué la chute de la IVe République et la naissance de la Ve.

L’année 1958 commence par un coup de tonnerre : l’aviation française qui avait décidé de pourchasser les « rebelles » algériens, bombarde, le 8 février 1958, le village tunisien de Sakiet Sidi Youcef. Il y a de nombreuses victimes civiles. La France se retrouve isolée au plan international. Pour tenter de sortir de cette situation, les États-Unis proposent une médiation. Le 25 février, Robert Murphy, conseiller diplomatique au département d’État américain, arrive à Paris pour sa mission « bons offices » qui ne donnera rien. Mais la guerre d’Algérie s’est installée sur la scène politique internationale. Ainsi, les indépendantistes algériens du FLN (Front de Libération Nationale) organisent, le 30 mars, avec l’aide des pays de l’Est, une « journée de solidarité mondiale avec l’Algérie » qui connaît une audience importante dans les pays du tiers-monde. Du 27 au 30 avril, les nationalistes des trois principaux pays d’Afrique du Nord, le FLN algérien, le Destour tunisien et l’Istiqlal du Maroc organisent une « conférence maghrébine » à Tanger proclamant « l’unité du Maghreb » et « demandant l’indépendance de l’Algérie ».

En France, la crise de la IVe République connaît de nouveaux développements avec la démission du gouvernement de Félix Gaillard le 15 avril. Ce qui semble une nouvelle péripétie de l’instabilité gouvernementale va vite se transformer en…. crise de régime lorsque le 9 mai le FLN annonce l’exécution de trois militaires français. Diverses organisations appellent à manifester contre « la démission » des pouvoirs publics, leur incapacité à affronter la situation algérienne. Dans la Casbah d’Alger, le 13 mai au matin, une compagnie de zouaves se met en place avec pour mission de protéger les quartiers musulmans contre d’éventuelles violences. Ceci est d’autant plus nécessaire que les barbelés n’existent plus et que le service des patrouilles est allégé depuis la fin du terrorisme urbain qui a existé au moment de la « bataille d’Alger », quelques mois auparavant. Mais il n’y a aucune tentative de marche sur la Casbah, comme aucune orientation hostile aux musulmans. C’est contre la « métropole » que les manifestants européens dirigent leurs coups…

En fin de matinée le 13 mai, des manifestants européens s’emparent du siège du Gouvernement général. La foule a occupé le bâtiment officiel après que les généraux Raoul Salan et Jacques Massu avaient assisté à une cérémonie au monument aux morts. Un Comité de salut public est en cours d’installation. Massu, au balcon, est acclamé et Salan, qui s’est fait huer par la foule, rentre dans le bureau sans avoir pu parler. Pour les militaires, les interrogations sont nombreuses et Claude Paillat, dans son Dossier secret de la guerre d’Algérie (1), rapporte ce type de discussions : « Peut-on parler aux musulmans de l’intégration et la leur promettre ? Pour eux il n’y a qu’une seule façon de procéder, c’est de reprendre le slogan des élus de la période pré-nationaliste : à égalité de devoirs, égalité de droits. » dit le capitaine Sirvent. « Vous pouvez y aller, réplique le général Petit, le but est de ramener le général de Gaulle au pouvoir. C’est la seule personnalité capable d’être acceptée par la France métropolitaine et de rétablir l’ordre. » Le soir du 13 mai, les émeutiers sentent la victoire à portée de main, ils veulent que l’armée s’installe au pouvoir.

Le 14 mai, c’est l’investiture du gouvernement Pierre Pflimlin. Ce jour là, le général Massu lance un appel au général de Gaulle. Le général Salan, l’un des initiateurs des « journées de mai », déclare : « Je prends en main provisoirement les destinées de l’Algérie française ». Le gouvernement de Pierre Pflimlin, affaibli, ne peut faire face aux « événements » qui secouent Alger. Il se montre impuissant à résoudre la crise. Le 15 mai, le général de Gaulle se déclare « prêt à assumer les pouvoirs de la République ». Les manifestations de fraternisation entre Européens et Musulmans se succèdent sur la place du Forum à Alger. Les événements se précipitent. Le 17 mai, Jacques Soustelle, l’ancien gouverneur général, partisan farouche de l’Algérie française, fait son retour, triomphal, à Alger. Il est proche du général de Gaulle. Le 19 mai, dans une conférence de presse, « l’homme du 18 juin », se déclare prêt à assumer « de nouvelles responsabilités dans un moment de grande difficulté » pour la France. Des comités de salut public se forment un peu partout. Le général de Gaulle accepte le 29 mai de former le gouvernement et le 1er juin son gouvernement est investi par l’Assemblée nationale. Le 4, il lance à Alger le fameux « Je vous ai compris ». Le général Salan est nommé le 7 juin délégué général du gouvernement et commandant en chef en Algérie. Le 2 juillet, dans un nouveau voyage, le général de Gaulle se prononce à Mostaganem pour une « Algérie française », ce sera la seule fois.

La IVe République se meurt. Le 28 septembre 1958, Européens et Musulmans (dont les femmes) votent massivement en faveur de la Constitution de la Ve République. Le 14 octobre à Alger, les officiers français quittent le Comité de salut public. Le général de Gaulle promet, le 23 octobre, « la paix des braves » au FLN et lance le « plan de Constantine », vaste chantier de réformes économiques et sociales. Le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), formé en septembre 1958, repousse le 25 octobre la proposition de « paix des braves ». La guerre semble appelée à durer. Aux élections législatives des 23 et 30 novembre, l’UNR, le parti du général de Gaulle, remporte un grand succès. Ce dernier a désormais les mains libres pour l’accomplissement de sa politique. Le 19 décembre, le général Salan est remplacé par le délégué général Paul Delouvrier. L’heure est à la relève civile. C’est la fin définitive des « événements » de mai 1958. Le 21 décembre 1958, le général de Gaulle est élu président de la République française et de la Communauté. L’histoire de la Ve République commence.

Benjamin Stora
professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales

1. Ouvrage publié en 1961 aux Presses de la cité.

Source: Commemorations Collection 2008

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