Page d'histoire : Frédéric Joliot-Curie Paris, 19 mars 1900 - Paris, 14 août 1958

Il était un grand savant, soucieux de toutes les applications de ses découvertes, très imaginatif, prévoyant loin en avant le chemin à parcourir et les objectifs possibles. Avec sa femme, Irène, il reçut le prix Nobel de chimie de 1935. Paul Langevin proposa alors d’appeler le couple les Joliot- Curie.

Il était un organisateur et un animateur scientifique de génie, entraînant l’ensemble de ses collaborateurs autour de lui.

Homme d’action et de convictions, il devint aussi un savant engagé, de la Résistance à l’action pour la Paix, mettant en avant la responsabilitéparticulière des scientifiques.

Il avançait en cherchant toujours à convaincre ses interlocuteurs de tous bords. Il était une des personnalités scientifiques françaises les plus connues et les plus respectées.

Jean Frédéric Joliot naît à Paris le 19 mars 1900. En 1920, il entre à l’École municipale de physique et chimie industrielles de la ville de Paris (celle où Pierre et Marie Curie avaient découvert le polonium et le radium en 1898) et en sort trois ans plus tard comme ingénieur-physicien, major de sa promotion. Sur la recommandation de Paul Langevin, il devient préparateur particulier de Marie Curie à l’Institut du radium. Irène Curie, la fille de Pierre et Marie, est chargée de le piloter. Les deux jeunes gens se marient en 1926. Ils auront deux enfants.

Ils décident d’entreprendre des expériences en commun. Deux physiciens allemands avaient signalé l’émission d’un rayonnement très pénétrant non identifié, lors du bombardement d’éléments légers, comme le béryllium ou le lithium, par les rayons alpha du polonium. Frédéric et Irène observent alors, en utilisant une source particulièrement intense de polonium, que ce rayonnement très pénétrant est capable de projeter des protons – particules très ionisantes et peu pénétrantes – hors d’écrans constitués par des substances hydrogénées ; ils pensent que le rayonnement pénétrant est constitué de rayons gamma d’une énergie très élevée (janvier 1932). Un mois plus tard, partant de l’observation faite à Paris, le physicien anglais James Chadwick, utilisant un détecteur plus performant, montre que le rayonnement inconnu est constitué de neutrons, particules de charge nulle et de masse voisine de celle du proton (février 1932).

Poursuivant leurs expériences, Frédéric et Irène constatent qu’une feuille d’aluminium bombardée par les rayons alpha d’une forte source depolonium émet des électrons positifs (appelés aussi positons). En janvier 1934,ils observent que le nombre de positons émis décroît exponentiellement en fonction du temps : c’est la découverte de la radioactivité artificielle; du phosphore radioactif a été produit au sein de l’aluminium. Deux semaines plus tard, ils apportent la preuve chimique du phénomène. Il devient alors possible de former des isotopes radioactifs de tous les éléments chimiques, connus et encore inconnus. Des savants de plusieurs pays, notamment E. Fermi à Rome, s’attellent à cette tâche. Frédéric Joliot dira lors de sa conférence Nobel : « …Les quelque centaines d’atomes d’espèces différentes qui constituent notre planète ne doivent pas être considérés comme ayant été créés une fois pour toutes et éternels. Nous les observons parce qu’ils ont survécu. D’autres moins stables ont disparu. Ce sont probablement quelques-uns de ces atomes disparus qui sont régénérés dans les laboratoires... » Le champ des applications ainsi ouvert est considérable, et d’abord en médecine et en biologie où la méthode des indicateurs radioactifs peut alors être étendue à un très grand nombre d’éléments.

Frédéric Joliot s’attache à construire en France, d’abord dans son nouveau laboratoire à Ivry, des accélérateurs de particules pour produire ces nouveaux éléments. Il est nommé professeur au Collège de France et y lance la construction d’un cyclotron. En bombardant l’élément uranium avec des neutrons, Fermi et son équipe croient mettre en évidence des éléments « transuraniens » radioactifs. Ces expériences sont reprises à Berlin par Lise Meitner et Otto Hahn. Irène Joliot-Curie, à l’Institut du radium, apporte une contribution imprévue à ces recherches. Après l’émigration forcée de Lise Meitner, autrichienne et d’origine juive, O. Hahn et F. Strassmann, fin décembre 1938, découvrent, par une analyse chimique rigoureuse, la fission de l’uranium sous l’action des neutrons.

Au Collège de France, F. Joliot, par une très belle expérience, apporte une preuve physique de la fission. Il se rend compte que la fission doit libérer beaucoup d’énergie et pense immédiatement à la possibilité de réaliser une réaction en chaîne. Il constitue une équipe avec H. Halban et L. Kowarski pour explorer cette possibilité. En trois mois, l’équipe met en évidence l’émission de nouveaux neutrons dans la fission, mesure leur énergie et détermine leur nombre. Elle est en avance d’environ quinze jours sur l’équipe concurrente qui s’est constituée à New York autour de E. Fermi et de L. Szilard. L’équipe du Collège de France fait appel à Francis Perrin pour calculer les dimensions d’un dispositif permettant de réaliser une réaction en chaîne divergente et obtenir de l’énergie nucléaire utilisable. Des brevets sont déposés et Joliot prend contact avec l’Union minière du Haut Katanga à Bruxelles pour s’assurer l’uranium et l’aide industrielle nécessaires. 

La guerre éclate en septembre 1939. Il apparaît que les neutrons doivent être ralentis par un « modérateur » pour obtenir la divergence. Joliot et ses collaborateurs choisissent l’eau lourde comme modérateur (Fermi choisira du carbone très pur). Joliot se rend auprès du ministre de l’Armement, Raoul Dautry, pour obtenir son aide. La priorité sera à l’utilisation industrielle de l’énergie nucléaire (atomique). La « bataille de l’eau lourde » permet d’apporter le stock mondial d’eau lourde de Norvège en France. Le dispositif à construire doit être hétérogène ; l’équipe se rend compte que de l’uranium enrichi en isotope 235 rendrait la réalisation plus aisée. L’invasion allemande conduit au repli des expériences sur Clermont-Ferrand ; la débâcle amène l’équipe à Bordeaux. Halban et Kowarski s’embarquent pour l’Angleterre avec l’eau lourde et les dernières instructions de Joliot ; celui-ci décide de demeurer en France. L’uranium sera caché dans une mine au Maroc pendant toute la
guerre.

Joliot retourne à Paris au Collège de France et apprend que son laboratoire est occupé par les Allemands. Mais le physicien allemand mobilisé pour surveiller le laboratoire, Wolfgang Gentner, est un ami de Joliot et le protègera efficacement pendant ces années noires. Le savant français participe activement à la Résistance universitaire ; en 1942, il devient président du Front national pour la libération de la France ; en 1942-1943 il adhère au parti communiste français ; au printemps 1944, il devient clandestin.

À la Libération de Paris, F. Joliot est nommé directeur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qu’il réorganise. Il apprend peu à peu les résultats obtenus pendant la guerre aux États-Unis ; la première pile atomique a été mise en route en décembre 1942 à Chicago. En mai 1945, Joliot est reçu par le général de Gaulle ; au cours de cette entrevue est arrêté le principe de créer un nouvel établissement consacré à l’énergie atomique qui sera le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Les premières bombes atomiques américaines sont lancées en août sur Hiroshima et sur Nagasaki. Le CEA est créé officiellement en octobre ; le 3 janvier 1946, Frédéric Joliot en est nommé haut-commissaire et Raoul Dautry administrateur général. Le savant fait construire les premiers laboratoires au fort de Châtillon, puis fait édifier un grand centre de recherches à Saclay. Il impulse la prospection minière de l’uranium. La première pile atomique française, ZOÉ, est mise en route en décembre 1948.

En 1949, F. Joliot devient président du « Mouvement mondial des partisans de la paix ». Il lance en mars 1950 « l’appel de Stockholm » pour l’interdiction de l’arme atomique qui recueille des dizaines de millions de signatures. Ses activités politiques lui valent d’être démis de ses fonctions de haut-commissaire (avril 1950).

Irène Joliot-Curie, professeur à la Faculté des sciences et directrice du laboratoire Curie de l’Institut du radium, obtient en 1954 la construction d’un nouvel accélérateur de particules qu’elle veut édifier à Orsay. La réalisation est lancée. Mais Irène meurt de leucémie en mars 1956.

Frédéric Joliot prend le relais. Il reprend la chaire universitaire de sa femme, assure l’installation et l’organisation du nouveau laboratoire et assiste à la mise en route du nouveau synchrocyclotron (juin 1958). Cependant, déjà malade, il meurt à Paris d’une hémorragie interne le 14 août 1958. Une grande émotion saisit ses collaborateurs et le pays tout entier. Le général de Gaulle décrète des obsèques nationales.

Pierre Radvanyi
directeur de recherche honoraire au CNRS
Institut de physique nucléaire, Orsay
secrétaire général de l’Association Curie et Joliot-Curie

Source: Commemorations Collection 2008

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