Page d'histoire : Emmanuel Poiré, dit Caran d'Ache Moscou, 6 novembre 1858 - Paris, 26 février 1909

Petit-fils d’un officier de Napoléon devenu maître d’armes à la Cour impériale de Russie, Emmanuel Poiré passa sa jeunesse à Moscou. Il arriva en France en 1877, pour y accomplir ses obligations militaires durant lesquelles il passa plusieurs mois à dessiner des modèles d’uniformes au ministère de la Guerre. Parallèlement, il débuta dans la presse satirique, sous le pseudonyme de Caran d’Ache – une transcription phonétique de Karandach :  « bout de crayon » en russe. Il donna ainsi des dessins à quelques feuilles parisiennes, surtout à La Vie militaire, où il fit la connaissance de Job.

Nourrissant toutefois l’ambition d’être un peintre militaire, Caran d’Ache fut brièvement l’élève d’Édouard Detaille. En 1883, il s’installa à Montmartre, où il devint une figure du mouvement « chatnoiresque » : membre du groupe des Humoristes et des Arts incohérents, il se lia avec Rodolphe Salis qui publia ses fameuses « Histoires sans paroles » dans son journal Le Chat noir et accueillit au théâtre d’ombres de son cabaret éponyme les représentations de L’Épopée (1886) – une « pièce militaire » reconstituant une fresque des batailles napoléoniennes en une centaine de tableaux –, qui infléchit fortement la carrière du dessinateur dès lors consacré comme un grand chroniqueur de l’armée française. Attaché au prestige du panache et du sabre, il la défendit dans un esprit « fumiste », parfois désinvolte et souvent rosse.

Foncièrement antirépublicain, boulangiste à ses heures, ardent nationaliste (adhérent à la Ligue de la Patrie française), farouche antisémite et antidreyfusard convaincu, il collabora à une quarantaine de journaux et revues, tels Le Courrier français, Le Figaro, L’Illustration, La Revue illustrée, La Chronique parisienne ou La Caricature. Avec son complice Jean-Louis Forain, il anima le Psst…!, journal en images violemment antidreyfusard (1898-1899). Il illustra nombre d’ouvrages historiques ou patriotiques et publia des albums, dont le plus célèbre est sans conteste son Carnet de chèques (1892), fac-similé d’un chéquier enrichi de charges graphiques et de jeux verbaux, visant les « chéquards » impliqués dans le scandale de Panama.

Atteint de neurasthénie dès 1903, Caran d’Ache abandonna progressivement son activité de dessinateur de presse, à l’exception de ses collaborations au Figaro et au Panache royaliste. Il travailla longuement à un projet d’édition illustrée des Fables de La Fontaine qu’Henri Rochefort devait préfacer, mais l’ampleur de la tâche le rebuta et il l’abandonna. Il ne se consacra plus qu’à la création de jouets en bois, silhouettes d’animaux découpées et peintes, portant « la griffe du maître caricaturiste », et que vendait le Comptoir des jeux et jouets des Grands magasins du Louvre sous le slogan : « C’est un jouet…, et en même temps une œuvre d’art. Les petits s’en amuseront ; les grands l’admireront ». En 1924, l’industriel suisse Arnold Schweitzer fonda à Genève la société Caran d’Ache, qui se fit une réputation internationale de fabricant de crayons, en proclamant : « Notre firme ne pouvait choisir meilleur nom pour griffer ses produits de haute qualité ».

Bertrand Tillier
maître de conférences en histoire de l’art
université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2009

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