Page d'histoire : Pierre-Louis Moreau de Maupertuis Saint-Malo, 17 juillet 1698 - Bâle, 27 juillet 1759

La Terre est-elle aplatie aux pôles et renflée à l’Équateur, comme l’ont établi Newton et Huygens à la fin du XVIIe siècle ou, au contraire, est-elle renflée aux pôles et aplatie à l’équateur, comme les Cassini père, fils et petit-fils pensaient l’avoir démontré par leurs mesures répétées de plusieurs degrés du méridien du nord au sud et de l’est à l’ouest de la France ? Notre planète a-t-elle la forme d’une mandarine ou d’un citron ? La réponse n’engage pas seulement toute une conception de l’univers (Newton et l’attraction, Descartes et la théorie des tourbillons), elle conditionne aussi les progrès de la cartographie et, avec elle, ceux de la navigation. Pour départager les points de vue, il faut aller mesurer la longueur des degrés du méridien au pôle Nord et celle des cercles parallèles de l’Équateur.

C’est en 1735 que Maupertuis, revenu newtonien d’un voyage d’études à Londres en 1728, convainc l’Académie des sciences, dont il est membre depuis 1731, de lui confier la direction de l’expédition en Laponie. Ce mathématicien breton, séduisant et audacieux, a le tempérament d’un aventurier. En moins d’un an, il réussit à monter son expédition et s’embarque pour le pôle Nord, le 20 avril 1736, avec deux jeunes confrères des plus brillants (le génial mathématicien Clairaut, 23 ans, et Pierre-Charles Lemonnier, astronome de  21 ans), auxquels il faut ajouter le Suédois Celsius, le mécanicien Camus, un dessinateur et l’abbé Outhier, chargé de tenir le journal de l’expédition.

Au cours du voyage qui ne durera que seize mois, Maupertuis se révèle un organisateur et un meneur d’hommes hors pair. Bravant le froid, l’escalade des montagnes escarpées ou les pénibles attaques de moustiques l’été, il accomplit avec son équipe tous les travaux et mesures nécessaires à la détermination de l’arc du méridien. De retour à Paris, le 20 août 1738, Maupertuis, accompagné de son équipe, est solennellement félicité par Louis XV. Quelques jours plus tard, une foule exceptionnelle se presse à l’Académie des sciences pour l’entendre exposer les résultats de l’expédition qui donnaient raison à Newton : oui, la terre a bien la forme d’une mandarine.

Pourtant, en dépit du sérieux de ses travaux, les cartésiens nationalistes, majoritaires à l’Académie, refusèrent d’admettre leur erreur. Ils prirent prétexte de l’expédition au Pérou, toujours inachevée, pour ne pas donner acte à Maupertuis du succès de son expédition. Celui-ci en conçut une telle indignation qu’il décida d’accéder aux demandes réitérées de Frédéric de Prusse de venir s’installer à Berlin pour y diriger son Académie. Bien qu’on l’eût élu à l’Académie française en mai 1743 (rare honneur accordé à un savant), Maupertuis quitta la France pour la Prusse en 1744. Il s’y maria, s’y brouilla avec Voltaire et n’y fut pas heureux. Atteint d’une maladie pulmonaire, il meurt à Bâle chez son vieil ami, le savant Jean Bernoulli, en 1759.

Élisabeth Badinter
philosophe

Source: Commemorations Collection 2009

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