Page d'histoire : Jean de Rotrou Dreux, 21 août 1609 - Dreux, 28 juin 1650

Une fois retranchées la légende d’un Rotrou enfouissant son argent sous des fagots afin de le soustraire à un prétendu engouement pour le jeu, l’hypothèse non vérifiée de ses relations amicales avec Corneille, sa mort supposée héroïque lors de la peste qui ravagea Dreux, il ne subsiste que peu d’éléments biographiques fiables concernant cet auteur dramatique illustre en son temps et que l’on considère à juste titre aujourd’hui, sinon comme digne d’intégrer le trio prestigieux Corneille-Molière-Racine, du moins comme le plus éminent des moins éminents dramaturges du Grand Siècle.

Envoyé à Paris pour poursuivre ses études, Rotrou débute sa carrière dramatique avec L’Hypocondriaque, représenté à l’Hôtel de Bourgogne en 1628, et en devenant « poète à gages » des « Comédiens du Roi » qui occupaient ce théâtre. Le contrat d’exclusivité liant le dramaturge à Bellerose, responsable de cette troupe, est résilié vers 1635 et Rotrou se met au service de Richelieu qui le nomme « gentilhomme ordinaire » de sa maison et le fait collaborer avec Corneille, Boisrobert, L’Estoile et Colletet aux pièces dites « des cinq auteurs » : L’Aveugle de Smyrne et La Comédie des Tuileries. Rotrou est ensuite médiocrement gratifié par quelques mécènes, dont cet amateur de théâtre que fut le comte de Belin, François II d’Averton. À la mort de celui-ci, en 1637, Rotrou renoue avec Bellerose et, en 1639, retourne à Dreux où il acquiert une charge de magistrat. Le 9 juillet 1640, il épouse Marguerite Camus qui lui donnera six enfants, dont trois seulement survivront mais n’auront pas de descendance. C’est alors qu’il écrit trois de ses meilleures pièces : Le Véritable Saint Genest (1645), Venceslas (1647), Cosroès (1648). À la veille de ses 41 ans, Rotrou meurt de la peste.

Contemporain des dramaturges nés plus ou moins avec le siècle : Tristan et Scudéry (1601), Du Ryer (1605), Corneille (1606), Rotrou fait partie de la génération de ces auteurs talentueux qui renouvelèrent le théâtre en délaissant les interminables développements oratoires de la dramaturgie renaissante au profit de la mise en scène d’actions spectaculaires. Qualifiée aujourd’hui de « baroque », cette esthétique mouvementée et profuse en improbables péripéties inspire l’œuvre dramatique de Rotrou : seize tragi-comédies, douze comédies et sept tragédies.

Emblématique du théâtre baroque que la prétendue dramaturgie « classique » avait, jusqu’à une date récente, relégué dans les oubliettes de l’histoire littéraire, le théâtre rotrouesque le doit moins à sa stylistique et à sa thématique qu’à la profonde résonance qu’il entretient avec la vision moderniste d’un monde qui échappe progressivement à toute transcendance et dont l’organisation échoit à un personnage-metteur en scène, souverain et autotélique.

Rotrou eut l’insigne honneur d’être au programme de l’agrégation de Lettres modernes de 2008.

Jean-Claude Vuillemin
professeur de littérature française
The Pennsylvania State University

Source: Commemorations Collection 2009

Liens