Page d'histoire : Jules Renard Châlons-du-Maine (Mayenne), 22 février 1864 - Paris, 22 mai 1910

Poil de Carotte, seul titre largement connu de Jules Renard, lui aura coûté cher. Livre autour d’un enfant, devenu livre pour enfants, popularisé par l’école, le théâtre, le cinéma et la télévision, il est d’autant plus facilement devenu la figure vivante de son auteur que ce dernier semblait y évoquer sa propre enfance. L’œuvre de Renard en fait est beaucoup plus considérable, variée et de bien plus haute ambition.

Né dans la Mayenne au hasard d’un déplacement professionnel de son père, Renard a toujours considéré Chitry-les-Mines dans la Nièvre, berceau de son ascendance paternelle, comme son véritable pays natal. Après de bonnes études classiques à Nevers, puis à Paris, il décide de rester dans la capitale à vivre de sa plume. Des vers médiocres (Les Roses, 1885), des nouvelles réalistes sans grand relief (Crime de village, 1886) ne suffisent pas à le faire connaître. Le mariage vient lui donner une certaine aisance et un foyer heureux. Il meurt à Paris à l’âge de 46 ans, il est enterré civilement à Chitry.

L’écriture rosse de Renard, dans les années 1890 est illustrée par des recueils comme Sourires pincés, La Lanterne sourde et Coquecigrues, textes brefs, d’un humour souvent sec et cinglant. Cette veine culmine dans le roman L’Écornifleur (1892) dont la modernité, de nos jours encore, reste surprenante.

Les amitiés parisiennes de Renard dans le milieu artistique et littéraire ont été trop nombreuses pour être évoquées ici. Les gens de théâtre y figurent en bonne place. C’est à eux qu’on doit les deux meilleures pièces de Renard : Le Plaisir de rompre et Le Pain de ménage, bijoux, toujours joués, de finesse et d’humanité.

À Chitry et à Chaumot, village voisin, Renard revient souvent. Saisi par la politique locale, il est maire de Chitry en 1904. Ses convictions profondes le mettent tout naturellement en phase avec l’action anticléricale d’alors. Il fait jouer La Bigote (1909) qui dénonce caricaturalement l’influence d’un prêtre dans une famille bourgeoise. Prolongeant Poil de Carotte pour Renard, la pièce ne connut pas le même succès.

La grande affaire de Chitry revécu fut, après Histoires naturelles (1896) et Bucoliques (1898), l’attention croissante portée aux paysans de son entourage. Renard a une façon de les observer, de parler d’eux qui l’emporte sur tous les naturalismes de l’époque. Son style très simple nourrit implicitement une constante interrogation sur la nature humaine. Nos frères farouches, Ragotte (1909) sont sans doute ses chefs-d’œuvre.

Sa correspondance récemment publiée montre l’étendue de sa personnalité tout comme son Journal posthume qui, tout en renfermant une précieuse documentation sur l’époque, construit, jusque dans sa discontinuité, une recherche spirituelle comparable à celle du roman de Proust, même si leur fin est différente. Voici celle de Renard :

« J’entre dans les mauvaises nuits, en attendant la nuit.

Humour : pudeur, jeu d’esprit. C’est la propreté morale et quotidienne de l’esprit. […]

L’imagination égare, la sensibilité affadit.

L’humour, c’est, en somme, la raison. L’homme régularisé. »

Cent ans après sa mort, Renard : un « œil clair » pour notre temps.

Michel Autrand
professeur émérite de littérature française à l’université de Paris IV

Source: Commemorations Collection 2010

Personnes :

Autrand, Michel

Thèmes :

Littérature

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