Page d'histoire : Indépendances de l'Afrique francophone 1960

En 1960, quatorze territoires de l’Afrique française subsaharienne, le Congo belge, la Somalie italienne et le Nigéria britannique accèdent à l’indépendance. Auparavant seuls l’Éthiopie, le Libéria, le Ghana (1957) et la Guinée (1958) étaient déjà des états souverains. Le reste du continent s’émancipe ensuite de 1961 à 1994.

L’année 1960 représente donc un tournant majeur tant pour l’Afrique noire que pour la politique de la France. C’était la fin d’un empire colonial inscrit sur les cartes depuis la fin du XIXe siècle mais, au niveau international, le vent du changement soufflait depuis une quinzaine d’années, particulièrement depuis le milieu des années 50.

L’ONU offre très vite une tribune aux revendications fondées sur le droit des peuples à l’autodétermination. L’indépendance de l’Inde en 1947, la défaite de Dien Bien Phu en 19541, la conférence de Bandoeng en 1955, l’échec franco-britannique à Suez en 1956 mettent en cause la survie du colonialisme en Afrique. Les notions de « tiers-monde » et de « sous-développement » émergent, posant la question de l’égalité à l’échelle mondiale. L’église catholique plaide dès 1954 en faveur de « l’autonomie politique des peuples coloniaux ».

Ces aspirations trouvent un écho auprès des milieux intellectuels panafricanistes. L’indépendance du Ghana en 1957 fait de Nkrumah leur leader politique. Du côté francophone, la Société africaine de culture organise à Paris en 1956 un Congrès des intellectuels et artistes noirs. L’affirmation culturelle de la « négritude » par Léopold Sédar Senghor2 et Aimé Césaire, et l’anticolonialisme développé par des marxistes et des chrétiens de gauche inspirent notamment la Fédération des étudiants africains noirs de France (FEANF).

Pourtant l’opinion publique en métropole n’imagine pas encore la fin de l’Empire. En Afrique même, les revendications sont multiples : les planteurs, les ouvriers, les intellectuels et auxiliaires de l’administration se plaignent surtout de blocages sociaux liés à la condition « indigène ». Mais la Seconde Guerre mondiale a mis aussi en avant le facteur politique : la contribution de l’Afrique noire à la France libre a disqualifié un certain racisme colonial et éveillé chez les colonisés la conscience de leurs droits.

La Conférence de Brazzaville présidée par le général de Gaulle en janvier 1944 a pris en compte cette évolution, mais en excluant encore toute forme de self government. En 1946, des lois abolissent le travail forcé et le Code de « l’indigénat ». La citoyenneté est généralisée, mais la Constitution de la IVe République, qui en octobre 1946 redéfinit « l’Union française », maintient un système électoral favorable aux coloniaux.

Cependant, dans ce cadre, les élus africains (23 députés, 32 conseillers de la République, 40 délégués à l’Assemblée de l’Union française, sans parler des membres des assemblées territoriales) vont jouer un rôle non négligeable, à la fois à Paris et sur le terrain : ils invoquent les principes de la République contre le maintien du statut colonial et donnent une impulsion décisive à la mobilisation politique de leurs pays respectifs.

En octobre 1946, ils créent à Bamako, à l’échelle de toute l’AOF, le Rassemblement démocratique africain (RDA), de sensibilité panafricaine et marxiste. La répression qui suivit son deuxième congrès (Treichville, 1949) amena son principal leader, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, à s’éloigner du Parti communiste et à s’apparenter en 1950 aux centristes de l’UDSR, le parti de René Pleven et de François Mitterrand. Il devient dès lors un conseiller écouté des dirigeants français en matière africaine. Il figure dans les cabinets de Guy Mollet en 1956, puis de de Gaulle en 1958. Il joue la carte d’une communauté franco-africaine et s’oppose en cela aux idées fédérales de Senghor. Les partis africains, notamment le RDA, triomphent aux élections de 1956. Les termes du débat qui mène aux indépendances sont posés : décolonisation pacifique (malgré les violences qui ont frappé Madagascar en 1947 et le Cameroun en 1955) et partenariat avec l’ancienne métropole.

En France, on assiste à une évolution rapide des positions. De 1947 à 1958, les investissements en Afrique noire avaient atteint le triple de ce qu’ils avaient représenté en 50 ans, de 1890 à 1940. À partir de 1955, des économistes analysent le poids fiscal de l’Empire et évoquent le « complexe hollandais », c’est-à-dire la prospérité des Pays-Bas depuis la perte de l’Indonésie. Le thème est popularisé par le journaliste Raymond Cartier : « la Corrèze avant le Zambèze ! » (Paris-Match, août 1956). Avec le traité de Rome signé en mars 1957, le marché européen devient primordial.

Ce constat économique, les considérations internationales, le souci de démontrer à l’Algérie3 qu’une issue pacifique était possible et enfin la maturation politique au sud du Sahara conduisent à une rapide évolution institutionnelle : en 1956 la loi-cadre de Gaston Defferre4 accorde le suffrage universel et l’autonomie aux différents territoires, mettant fin aux structures fédérales AOF et AEF. Dès 1956-1957, le Togo et le Cameroun, sous tutelle de l’ONU, deviennent des États autonomes.

L’arrivée au pouvoir de de Gaulle en 1958 fait craquer définitivement le formalisme juridique du système colonial. Conscient du « mouvement général vers l’émancipation » (« les colonies, c’est fini », aurait-il dit), il propose une solution souple de « Communauté » : chaque état africain serait autonome, un domaine important (affaires étrangères, défense, monnaie) restant du ressort du président français de la République et d’un Sénat de la Communauté. Mais l’option de l’indépendance est ouverte : l’association ou la sécession ! Lors de sa tournée en Afrique en août 1958, de Gaulle reçoit un accueil généralement favorable, sauf à Conakry et à Dakar. Le référendum du 28 septembre voit partout le triomphe du « oui », sauf en Guinée où l’indépendance ainsi gagnée par Sékou Touré se solde par la cessation de toute aide française.

De Gaulle voyait sans doute dans cette solution pseudo-fédérale une phase de transition, permettant de porter au pouvoir des dirigeants modérés. Devant la radicalisation des milieux urbains, il lui fut impossible de résister à ce que lui-même appela la « ruée vers l’indépendance ». Dès 1959, les dirigeants du Sénégal (Senghor et Mamadou Dia) et de l’ancien Soudan (Modibo Keïta), unis jusque août 1960 dans une Fédération du Mali, et le président de Madagascar (Philibert Tsiranana) revendiquent des transferts de pouvoir dans un cadre confédéral. Drapeaux et ambassades se multiplient. Le Cameroun et le Togo sont indépendants dès janvier et avril 1960. En juin, Paris accepte que le Mali et Madagascar le deviennent aussi à condition de signer des accords de coopération dans le cadre d’une « Communauté rénovée ». Les quatre territoires de l’ex-AEF suivent bon gré mal gré la même procédure en août.

En Côte d’Ivoire, Houphouët-Boigny, hostile au fédéralisme dakarois et auteur d’un rêve de « Françafrique », terme qui sera utilisé plus tard dans un sens critique, et vexé de se retrouver « avec ses fleurs fanées sur le parvis » d’une Communauté déliquescente, constitue une « Entente » avec le Dahomey, la Haute-Volta et le Niger ; ces pays réclament en août 1960 leur indépendance mais ne signent d’accords de coopération qu’en avril 1961. En 1961, la Communauté était une « notion dépassée ». Il en resta le secrétariat des Affaires africaines et malgaches, géré à l’Élysée par Jacques Foccart, et le Fonds d’aide et de coopération, créé dès 1959. Ce partenariat devait être dès lors, selon une conférence de presse tenue par de Gaulle en janvier 1964, « la grande ambition de la France ». Une certaine continuité dans la rupture.

 

Jean-Pierre Chrétien
historien, directeur de recherche émérite au CNRS
Centre d’études des mondes africains (Paris I)

 

1. Cf. recueil Célébrations nationales 2004
2. Cf. recueil Célébrations nationales 2006
3. Cf. recueil Célébrations nationales 2006 et 2007
4. Cf. recueil Célébrations nationales 2006

 

 

Pour aller plus loin...

Source: Commemorations Collection 2010

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