Page d'histoire : François Savary de Brèves Paris, 1560-1628

Page de titre de la première édition française utilisant les caractères orientaux de François Savary de Brèves, Paris, 1615.
© Bibliothèque Mazarine/cliché Suzanne Nagy

Savary de Brèves avait accompagné à Constantinople son parent, Jacques Savary de Lancosme, nommé ambassadeur à la Porte ottomane en 1585. Il assiste au lent naufrage de celui-ci, à ses erreurs accumulées et à sa trahison finale, lorsqu’il refuse de reconnaître Henri IV et fait le jeu de la Ligue. Brèves contribue alors à le faire enfermer par les autorités ottomanes et obtient du roi l’intérim du poste, avant d’être confirmé comme ambassadeur de plein titre.

Sans véritable expérience des affaires d’État, Savary de Brèves se lance dans des négociations difficiles, dont l’issue est loin d’être toujours heureuse. Il ne parvient pas à entraîner le sultan dans une intervention contre Philippe II que le roi réclame pourtant instamment. Il échoue aussi à obtenir de la Porte des mesures de fermeté contre les corsaires barbaresques, sujets ottomans, dont les exactions frappent durement les Provençaux et leur commerce. Ces échecs jettent une ombre sur la relation franco-ottomane et expliquent qu’à plusieurs reprises, à partir de 1598, le roi ait songé à rappeler son ambassadeur.

Pourtant, sa mission n’en passe pas moins pour l’une des plus réussies. L’exceptionnelle durée de sa résidence à la Porte, près de quinze années de 1592 à 1605, permet à Savary de Brèves de se familiariser avec les pratiques de la négociation avec les Ottomans. Il y trouve le moyen d’enraciner la présence française en Méditerranée orientale. En 1597 et 1604, Brèves obtient des capitulations qui confortent les privilèges des Français face à leurs concurrents anglais et vénitiens. Il parvient aussi à faire inscrire dans ces textes, pour la première fois, la protection que le roi prétend exercer sur Jérusalem et la Terre sainte. Cette action s’incarne dans un lieu symbolique de l’intensité des liens tissés avec la Porte : le palais que l’ambassadeur achète et fait restaurer, et qui deviendra le Palais de France.

La carrière de Savary de Brèves l’éloigne ensuite de l’empire ottoman. Il obtient en 1607 l’ambassade de Rome, puis se voit confier en 1615 l’éducation du frère de Louis XIII. Jamais cependant il ne rompt totalement avec l’Orient. En témoignent notamment le Discours sur l’alliance qu’a le roi avec le Grand Seigneur, ainsi que l’acquisition, en 1609, de l’office de consul d’Alexandrie.

Surtout, Savary de Brèves s’illustre comme un passeur entre Orient et Occident. Déjà lors de son ambassade à la Porte, il avait envisagé, lui qui avait appris le turc, la création d’une école destinée à la formation des interprètes. Il avait aussi rassemblé une imposante collection de manuscrits turcs et persans aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale. Cette collecte s’inscrivait dans un projet éditorial d’envergure et Savary de Brèves, lors de son séjour à Rome, fait graver plusieurs centaines de poinçons représentant des caractères arabes, persans et syriaques, qui composent la Typographia Savariana. S’assurant de l’appui des autorités pontificales et de l’assistance de deux membres du Collège maronite, il fait paraître en 1613 une traduction arabe du Catéchisme de Robert Bellarmin, puis en 1614 une édition bilingue latin-arabe du Livre des Psaumes. De retour en France, Savary de Brèves ambitionne de fonder une école des langues orientales adossée à une imprimerie, projet qui n’aboutit que brièvement.

Mais après sa mort, Richelieu, qui voit dans la Typographia Savariana « l’un des plus beaux ornements du royaume », charge Antoine Vitré, imprimeur du roi pour les langues orientales, de s’en porter acquéreur et Vitré utilise aussitôt ces caractères pour mener à bien son grand projet d’impression d’une Bible polyglotte, chef-d’œuvre éditorial qui l’accapare de 1628 à 1645. Cette reconnaissance posthume culmine en 1656, lorsque l’Assemblée du clergé demande que les poinçons de Savary de Brèves soient conservés dans la Chambre des comptes avec les poinçons grecs de Garamont, mesure qui les fait entrer dans le patrimoine typographique de la France.

 

Géraud Poumarède
professeur d’histoire moderne, université de Bordeaux III

Source: Commemorations Collection 2010

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