Page d'histoire : Chamonix par Horace Bénédict de Saussure 1760

En août 1787, un an après les chamoniards Jacques Balmat et Michel-Gabriel Paccard,
le naturaliste genevois Horace Bénédict de Saussure, accompagné de 17 guides,
réussit l’ascension du Mont Blanc : c’est la naissance de l’alpinisme
© Musée Alpin, ville de Chamonix Mont-Blanc

« Les premiers étrangers connus, que la curiosité de voir les glaciers ait attirés à Chamonix, regardoient sans doute cette vallée comme un repaire de brigands, car ils y allèrent armés jusqu’aux dents, accompagnés de domestiques qui étoient aussi armés ; ils n’osèrent entrer dans aucune maison et ils tinrent des feux allumés et des sentinelles en garde pendant toute la nuit ». Tel est, d’après Horace Bénédict de Saussure, le premier contact que des « étrangers » eurent avec la vallée de Chamonix.

Ce furent Windham et Pocock qui, en 1741, firent à leur tour le voyage et ce n’est qu’en 1760 que Saussure lui-même, originaire de Genève, y vint et constata qu’il n’y avait pas encore « d’auberge logeable » mais un ou deux « misérables cabarets ». L’excursion devenant à la mode, trois « grandes et bonnes auberges » y furent bientôt établies.

Saussure arriva à Chamonix le 24 mars et la vallée était couverte de neige : un pied et demi (45 cm) au Prieuré (le village) et douze (3 m 60) au Tour. Il désirait gravir le Montenvers mais la quantité de poudreuse se trouvant sur la pente nord en défendait l’accès. Il s’éleva donc sur les côtes exposées au Midi, malgré la neige croûtée qui lui opposa d’autres difficultés.

Fut-il enthousiasmé par le paysage ? Non : « Cet aspect étoit plus étonnant qu’agréable. L’uniformité de ces surfaces blanches qui couvroient des espaces immenses, et qui n’étoit coupée que par quelques rochers dont les pentes rapides ne peuvent pas retenir la neige, par les forêts dont la teinte étoit un peu grisâtre, et par l’Arve qui serpentoit et paraissoit comme un fil noir dans le milieu du tableau ; tout cet ensemble, éclairé par le soleil, avoit dans sa grandeur et dans son éblouissante lumière quelque chose de mort et d’infiniment triste. »

Apprécia-t-il les glaciers ? Guère. D’esprit pratique, il regretta la place qu’ils ôtaient à d’éventuels pâturages.

Quant aux habitants, il les jugea assez favorablement : « Les hommes de Chamouni ne sont en général ni bien grands ni d’une bien belle figure ; mais ils sont ramassés, pleins de nerfs et de force. Il en est de même des femmes. Ils ne parviennent pas non plus à un âge fort avancé, les hommes de quatre-vingts ans y sont extrêmement rares…

Ils sont en général honnêtes, fidèles, très attachés à la pratique des devoirs de leur religion. Ce seroit, par exemple, en vain qu’on tenteroit de les engager à partir un jour de fête avant d’avoir entendu la messe. Ils savent être économes et en même temps très charitables… Il n’y a chez eux ni hôpitaux, ni fondations en faveur des pauvres ; mais les orphelins et les vieillards, qui n’ont aucun moyen de subsistance, sont nourris alternativement par tous les habitants de la paroisse…

S’il y avoit quelque chose à désirer pour eux, ce seroit des fabriques ou des métiers, qui occupassent les hommes pendant l’hiver. Ceux qui ont de l’activité et le goût du travail trouvent bien le moyen de s’occuper utilement, mais il n’y a cependant aucune attraction assez attrayante et assez lucrative pour les arracher tous aux séductions de l’oisiveté et de la paresse.

Leur esprit est vif, pénétrant, leur caractère gai, enclin à la raillerie ; ils saisissent avec une finesse singulière les ridicules des étrangers. Cependant ils réfléchissent beaucoup ; plusieurs d’entr’eux m’ont attaqué sur la religion, sur la métaphysique ; non point comme professant un culte différent du leur, mais sur des questions générales qui prouvoient des idées à eux, et indépendantes de celles qu’on leur inculque. »

Fasciné par la vallée et par les montagnes qui l’entouraient, surtout le Mont Blanc, Saussure y consacra une grande partie de sa vie et promit une « récompense assez considérable » à ceux qui parviendraient au sommet. Diverses tentatives eurent lieu mais il fallut attendre le 5 juillet 1786 pour que Jacques Balmat et le docteur Paccard atteignissent enfin la cime « qui jusques alors avoit été regardée comme inaccessible ». Saussure lui-même, accompagné de dix-huit guides, allait enfin gagner le sommet tant désiré l’année suivante. C’était la troisième ascension, menée principalement avec des buts scientifiques, mais qui marquait le début de ce que l’on allait bientôt nommer « l’alpinisme ».

Anne Sauvy
historienne, écrivain

Source: Commemorations Collection 2010

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