Page d'histoire : Fête de Vaux-le-Vicomte 17 août 1661

Illuminations à Vaux-le-Vicomte
Coll. de M. de Vogüé
© Patrice de Vogüé

Des lieux que pour leurs beautés,
J’aurais pu croire enchantés
Si Vaux n’était point au monde

Jean de La Fontaine

Une belle journée d’été s’achève à Vaux-le-Vicomte : la fête la plus célèbre du siècle va commencer. Du jamais vu : un palais flambant neuf, d’un style nouveau, régnant sur un immense jardin qu’une perspective unique ouvre jusqu’à l’horizon, une féérie rafraîchissante de cascades et de jets d’eau.

Le jeune Louis XIV, 22 ans, Monsieur son frère et Madame, sa belle-sœur, la reine mère, quantité de princes et de grands seigneurs ont été conviés. Seule la reine est demeurée à Fontainebleau pour une affaire fort importante : elle porte en elle le futur dauphin.

Le maître de maison, Nicolas Fouquet, 46 ans, surintendant des Finances du roi, le visage toujours paré d’un sourire amical et accueillant, est au sommet de son ambitieuse carrière.

Dès l’arrivée des invités à Vaux, les surprises explosent et se succèdent : visite d’une vaste demeure aux plafonds richement peints et dorés, aux murs tendus de 120 tapisseries, au salon ovale aussi grand et aussi haut qu’une cathédrale, un souper de mets rares, l’écho d’une musique raffinée, une comédie bouffonne conjuguée avec des intermèdes dansés, le délassement d’une promenade dans l’ordonnance de parterres que les orangers embaument, puis, sur le canal, un combat naval pour rire, et enfin, sur fond de voûte céleste, mille bouquets de feu renouvelés de minute en minute. Aux courtisans se sont mêlés les créateurs de ces prodiges : Le Brun décorateur, Molière auteur et comédien, La Fontaine le poète, Torricelli l’artificier, Vatel l’intendant qui fait des miracles, réunis là par l’amical discernement du surintendant.

À l’aube, le dernier carrosse parti, Fouquet est heureux ; il ressent ce que La Fontaine écrira : « Vaux ne sera jamais plus beau qu’il le fut cette soirée-là ». Une fois encore, tout lui a réussi. Le fantôme d’une menace politique l’a-t-il troublé un instant ? Peut-être, mais ce matin il s’en moque.

Fouquet n’est pas le seul à savourer la magie de cette fête. Toute la Cour en parle : sur le chemin du retour à Fontainebleau et dès le lendemain, les jours suivants encore et des années plus tard, lors des Plaisirs de l’Ile enchantée, réplique à Versailles de la nuit du 17 août 1661 à Vaux-le-Vicomte. Cette nuit-là, comme l’a écrit La Fontaine : « Tout combattit à Vaux pour le plaisir du roi : la musique, les eaux, les lustres, les étoiles ».

Mais Louis refuse d’être conquis : le soleil est « offusqué », écrira Paul Morand ; plus encore : au point de perdre tout contrôle de lui-même. Durant la fête, il a ruminé son humiliation : être contraint, devant toute la Cour, de contempler le palais le plus fastueux et le plus moderne de son royaume, alors que le roi de France ne dispose que du vieux Louvre, du vieux Saint-Germain et de l’antique Fontainebleau. Alors il éclate : « Est-ce que nous ne ferons pas rendre gorge à tous ces gens-là ? ». La reine mère l’empêche de faire arrêter Fouquet sous les lampions de la fête. Il souffre aussi d’impatience contenue : il y a trois mois, en mai 1661, quelques semaines après la mort du cardinal Mazarin, il a décidé la perte du surintendant, son procès pour détournement des deniers publics et crime de lèse-majesté qui légitiment une sentence de mort : cet acte stupéfiant sera la première manifestation de sa volonté de pouvoir absolu. En dépit des conseils de Colbert, il n’en peut plus d’attendre le moment favorable pour la faire connaître, ni d’être contraint à la dissimulation, sa seconde nature.

Et pourtant, à son insu, un autre sentiment l’a envahi. Cette fête l’a mis au supplice, mais « sans doute le roi eut-il, ce soir-là, la révélation d’une œuvre d’art complète, parfaite en toutes ses parties et ordonnée par un seul homme » écrit Alain Merot (1). De cette inspiration naîtra rapidement dans l’imagination du jeune monarque un projet plus imposant que séduisant, plus austère que réjouissant, démesuré faute d’échelle humaine : Versailles sera l’incarnation du principal souci de Louis XIV : « ma dignité, ma gloire, ma grandeur, ma réputation ».

La magie de la nuit du 17 août 1661, chef-d’œuvre de l’art de vivre, revit aujourd’hui lors des soirées illuminées de milliers de chandelles à Vaux-le-Vicomte. En parcourant ses parterres, on devine que cet espace est toujours le royaume des muses et des nymphes qui, sous la plume de Jean de La Fontaine, avaient pleuré le destin tragique de Fouquet. Dans ces beaux lieux, dus au génie fraternel de Louis Le Vau, d’André Le Nôtre et de Charles Le Brun, fidèlement transmis à la postérité, palpite encore l’âme du surintendant qui les ordonna.

 

Patrice de Vogüé

 

1. La peinture française au XVIIe siècle, Gallimard/Electa, 1994.

Source: Commemorations Collection 2011

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