Page d'histoire : Création du Centre national d'études spatiales 19 décembre 1961

À la fin des années 1950, le lancement de Spoutnik, dans le cadre de l’Année géophysique internationale, intervient au moment où le contexte géopolitique est marqué par les tensions qui opposent l’Est et l’Ouest dans la Guerre froide. Depuis le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958, la politique étrangère de la France tend à lui redonner la place qu’elle estime devoir lui revenir dans le monde. De ce fait, l’espace devient rapidement un facteur structurant de toute politique étrangère, non seulement pour les deux superpuissances, mais également pour la France.

Dans ce domaine stratégique nouveau, aux perspectives commerciales intéressantes, le gouvernement du général de Gaulle considère comme essentiel d’assurer la présence française dans les débats internationaux, qu’ils soient scientifiques ou politiques. Il crée, à cet effet, un Comité des recherches spatiales, chargé de préparer un premier programme.

Le développement rapide de ces activités conduit le gouvernement à institutionnaliser cette activité et à lui apporter les moyens humains et financiers nécessaires.

Le 19 décembre 1961, un comité restreint, présidé par le général de Gaulle, prend trois décisions qui constituent le cœur de la première politique spatiale française : construction d’un lanceur national, le lanceur Diamant, à partir des véhicules d’essais développés dans le cadre de la force nationale de dissuasion ; participation aux activités des deux organisations spatiales européennes en cours de constitution ; création du Centre national d’études spatiales (CNES). Celui-ci reçoit pour mission de coordonner l’ensemble des activités spatiales françaises et de représenter la France dans les différentes structures internationales, telles que le COSPAR (Comité mondial de la recherche spatiale) ou le COPUOS (Comittee on the Peaceful Uses of Outer Space) sur le plan international, le CERS/ESRO (Centre européen pour la recherche spatiale/European Space Research Organization) et le CECLES/ELDO (Centre européen pour la construction de lanceurs spatiaux/European Launcher Development Organization) au niveau européen.

Dans les premières années, la Défense assurant le développement des véhicules (fusées-sondes et lanceurs), les activités du CNES sont essentiellement tournées vers le domaine scientifique et la construction des infrastructures au sol nécessaires (stations sol et base de lancement).

Le lancement du premier satellite français Astérix le 26 novembre 1965 depuis la base d’Hammaguir (Algérie) a permis à la France de devenir la troisième puissance spatiale au monde. Le CNES, qui participe à ce programme Diamant aux côtés de la Défense et des industriels, procède par la suite au lancement de ses premiers satellites. Dans le même temps, il entretient avec les États-Unis une coopération fructueuse, symbolisée par le lancement en 1965 du satellite scientifique FR1 par une fusée américaine. Ce qui permet à ses équipes d’acquérir rapidement une expertise dans le domaine satellitaire.

N’ayant pas vocation à réaliser par lui-même les recherches scientifiques et les réalisations industrielles, il est à la fois une force de propositions et le concepteur-inventeur, architecte système et maître d’ouvrage ; il joue le rôle de catalyseur entre les laboratoires scientifiques et l’industrie, et il favorise la création durable d’une industrie spatiale nationale de haut niveau qui devient rapidement compétitive sur les plans européen et international.

À partir de 1966, le CNES est appelé à se substituer à la Défense en prenant la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage des futurs lanceurs civils (Diamant B, Diamant B-P4), en même temps qu’il engage des études sur les satellites d’application.

Au milieu des années 1960, l’évolution des activités spatiales et du contexte politique international ouvre de nouvelles perspectives de coopération. Sur le plan bilatéral, le CNES signe des accords de coopération avec de nombreux pays. Avec le partenaire allemand, le CNES lance le programme de satellite de télécommunications Symphonie et avec l’Union soviétique, grâce à l’accord de coopération de 1966, il poursuit des recherches dans le domaine scientifique. Sur le plan multilatéral, la France tient une place importante au sein des organisations spatiales européennes, faisant évoluer les structures et les programmes.

La politique spatiale française s’oriente résolument vers l’Europe au début de l’année 1970. Tirant les enseignements de l’échec du projet de lanceur Europa, la France contribue activement à trouver des solutions aux crises qui frappent les organisations spatiales européennes, notamment au sein du CECLES/ELDO.

La France qui a foi dans une Europe spatiale forte, favorise la création d’une agence spatiale unique, en lieu et place des organisations spatiales européennes existantes. Dans le même temps, elle renonce à développer ses propres lanceurs nationaux, proposant à ses partenaires européens le projet de lanceur lourd LIIIS, qui prend le nom d’Ariane après son adoption, et dont le premier lancement intervient le 24 décembre 1979 depuis la base spatiale de Kourou en Guyane française.

Cette même année, rompant avec la politique suivie jusque-là, le CNES s’engage dans les vols habités en coopération avec l’Union soviétique et les États-Unis. Trois ans plus tard, en 1982, le Français Jean-Loup Chrétien devient le premier spationaute d’Europe de l’ouest à voler à bord de Soyouz et à séjourner à bord d’une station spatiale soviétique Saliout. S’ensuivent d’autres vols à bord de Mir, de la navette spatiale, puis de la station spatiale internationale.

Les décennies 1980 et 1990 sont marquées par l’émergence du marché des satellites de télécommunications que la fusée européenne Ariane contribue largement à placer sur orbite, soulignant ainsi les répercussions toujours plus grandes du spatial dans le quotidien.

Si le projet d’avion spatial Hermès ne parvient pas à maturité dans son cadre européen, c’est malgré tout une période au cours de laquelle s’intensifient les programmes en coopération avec les grandes puissances spatiales ainsi qu’avec les pays émergents.

Dans un contexte géopolitique totalement différent de celui existant à ses débuts, la politique spatiale de la France définie par le Président de la République en février 2008 à Kourou, s’appuie sur des compétences et des capacités scientifiques, techniques et industrielles au meilleur niveau mondial, et sur sa légitimité politique et économique, pour conduire ses nouveaux programmes au service de la société. En effet, les états, les politiques publiques, la science, l’industrie et l’économie, les citoyens, c’est-à-dire toute la société humaine, ne peut plus se passer d’espace. Dans le cadre du traité de Lisbonne et de la compétence partagée entre l’Union Européenne et ses états membres, la France entend participer activement au développement de l’Europe spatiale fondée sur trois « piliers » : les états membres, l’Union Européenne et l’Agence spatiale européenne (ESA). Le CNES est donc amené à jouer un rôle croissant dans ce cadre européen renforcé, mais également sur la scène internationale afin de conserver à la France sa place majeure et son -rayonnement sur l’échiquier spatial mondial.

Yannick d’Escatha
président du CNES

Source: Commemorations Collection 2011

Liens