Page d'histoire : Pierre de L'Estoile Paris, 1546 - Paris, 8 octobre 1611

Journal autographe de Pierre de l’Estoile,
registre 1606-1611
Bibliothèque nationale de France
© BnF
 

Il est aussi peu en la puissance de toute la faculté terrienne
d’engarder la liberté françoise de parler, comme d’enfouir
le soleil en terre, ou l’enfermer dedans un trou.

Pierre de L’Estoile, Journal

Pierre de L’Estoile est connu pour avoir laissé un témoignage particulièrement original sur son époque. En observateur curieux, il consigna dans son Journal tous les événements entre 1574 et 1611. Si l’auteur reste d’une « vie obscure et cachée », l’œuvre, en revanche, revêt une importance de premier plan.

Issu d’une famille orléanaise composée de juristes, L’Estoile acquit l’office de grand audiencier à la chancellerie de Paris (1569), au terme d’une solide éducation humaniste auprès de Mathieu Béroalde et d’Alexandre Arbuthnot, professeur de droit à Bourges. Le déclenchement des guerres civiles (1562) soumit le futur parlementaire à la dure réalité des violences humaines, notamment dans Orléans assiégé, où il s’était réfugié. En 1569, il épousa Anne de Baillon, morte en 1580 ; puis, deux ans plus tard, Colombe Marteau. La perquisition de son domicile par les Ligueurs, son emprisonnement à la Conciergerie (1589) et la menace de mort dont il fut l’objet (1591), traduisent les graves dangers que lui faisait courir sa position de « politique » royaliste, fidèle à Henri IV, soucieux de paix civile. Mais la vente de sa charge (1601) et une santé défaillante assombrirent rapidement son quotidien. Vers la fin de sa vie, le diariste ne mentionne plus que des notes de lecture, l’acquisition de livres et d’objets de collection. Sa bibliothèque, une des plus considérables de Paris (plus de 4 500 titres), lui valut la visite d’amis lettrés et d’illustres étrangers de passage. Il mourut le 8 octobre 1611 dans sa demeure du quartier Saint-André-des-Arts.

Les Mémoires-Journaux de L’Estoile, qui consignent dans le détail l’histoire des règnes d’Henri III et d’Henri IV, restituent avec minutie un ensemble de « choses vues ». Ils constituent le « magasin de [s]es curiosités » et se distinguent par d’éminentes qualités descriptives que rehaussent d’innombrables anecdotes et « pasquils ». Présentée selon la technique du collage et assortie de précieux commentaires, l’œuvre reflète l’opinion publique contemporaine. Elle lève également le voile sur les convictions intimes de l’auteur, son refus des fanatismes religieux et un goût inné de la vérité, lié à une haute exigence de la fidélité à soi-même venue de la lecture de Montaigne.

Pierre de L’Estoile incarne l’idéal accompli d’un parlementaire lettré, épris de culture et de liberté. Son œuvre le range parmi les témoins les plus féconds du siècle, source inépuisable de leçons pour les historiens, les littéraires et les écrivains qui s’en nourrissent.

 

Gilbert Schrenck
professeur émérite
université de Strasbourg

Source: Commemorations Collection 2011

Liens