Page d'histoire : Fondation du monastère Saint-Jean d'Arles et première application de la règle pour les moniales de saint Césaire 512

Radegonde se présente à saint Médard ; Radegonde ordonnée diaconesse Folio 27 verso, tiré du manuscrit De la vie de Sainte Radegonde par Fortunat, Ms250 (136) Poitiers, Médiathèque François Mitterrand
© Médiathèque François-Mitterrand, Poitiers / Photo O. Neuillé
 

Lorsque le 26 août 512 Césaire, évêque d’Arles, consacre le monastère de vierges qu’il a fondé dans sa cité, le monachisme est un phénomène relativement récent. Inspiré du modèle oriental des Pères de la Thébaïde que furent au IVe siècle Antoine, Basile ou Pacôme, il se répand en Occident autour des quelques figures majeures comme Martin († 397), Augustin († 430) et, en Provence, Cassien († 435) ou Honorat († 430). Ce monachisme des origines, très ascétique, cherche sa voie entre érémitisme et vie communautaire sur le modèle apostolique. Alors qu’Athanase († v. 373) défendait déjà l’idée que la vie de vierges consacrées était un état supérieur à celui de la femme mariée, Jérôme († 420), en livrant les portraits d’aristocrates romaines converties à l’ascétisme, est le premier à laisser entrevoir des communautés de veuves que l’on n’ose encore appeler moniales, même si leurs choix de vie – abandon partiel des biens, jeûne, continence sexuelle, prière, lecture, pratiques ascétiques – en donnent déjà les signes.

Originaire de Chalon-sur-Saône, Césaire (470-542) choisit la Provence pour accueillir sa vocation ascétique et parfaire sa formation. C’est en effet à Marseille que Cassien, passeur entre l’Orient et l’Occident, a élaboré une véritable doctrine de l’engagement monastique ; Lérins, où Césaire séjourne pendant plusieurs années, est un des principaux viviers du monachisme occidental. Une fois élu au siège d’Arles (502), Césaire ne perd rien de son souci de la vie régulière. Ses liens avec Lérins et Marseille expliquent sans peine qu’il ait choisi d’envoyer sa sœur Césarie au monastère de femmes fondé par Cassien vers 420 non loin de Saint-Victor, pour qu’elle accomplisse sa formation à la source même de la vie cénobitique, avant de devenir abbesse de la nouvelle communauté qu’il s’apprête à fonder dans sa cité.

Au moment de son élection, Césaire est abbé d’un monastère d’hommes installé dans une île des faubourgs de la cité arlésienne. Selon le topos hagiographique, il quitte sa charge à regret mais garde tout au long de son épiscopat un intérêt marqué pour la vie monastique. Vers 506-507, il entreprend la construction d’un monastère de moniales, probablement à l’extérieur de l’enceinte urbaine. Mais, à peine sortis de terre, les bâtiments claustraux ne résistent pas au siège prolongé des Francs et des Burgondes mené contre le royaume wisigothique. La paix revenue, Césaire ne renonce pas à son projet, bien au contraire. Il reprend la construction de l’établissement, cette fois à l’intérieur de la ville, à côté de ce qui est encore pour quelque temps la cathédrale, dans l’angle sud-est des remparts. Celui-ci comporte tous les bâtiments nécessaires à la vie communautaire : église, parloir, cuisine, cave, cellier, réfectoire, dortoir, vestiaire, ateliers de tissage ou de filature. Une douzaine d’années après la consécration de son monastère, Césaire décide d’élever une basilique triple dédiée à la Vierge et destinée à accueillir les sépultures des moniales qui devaient ainsi former par leurs sarcophages monolithes le dallage de l’église. Cette basilique, consacrée en 524, était selon toute probabilité à l’extérieur de la clôture monastique et des murs de la cité. Attaché à l’indépendance de sa fondation, Césaire accorde aux moniales la libre élection de leur abbesse et le privilège de choisir librement leur administrateur et le desservant de leur abbatiale. Il s’assure par ailleurs auprès du pape que l’autorité de l’ordinaire n’outrepasse pas ses droits canoniques de visite, de bénédiction des huiles et de consécration des autels et des lieux de culte.

Ce n’est pas la moindre des originalités de Césaire d’avoir choisi de fonder un monastère de femmes, non qu’il n’en existât pas avant lui quelques rares exemples, mais parce que cette fondation lui permit de rédiger la première règle pour les vierges. Alors que tous ses prédécesseurs s’étaient contentés de féminiser des législations conçues d’abord pour des hommes, il est le premier à concevoir d’emblée une règle pour les femmes, qu’il adapte à la fin de sa vie pour une communauté d’hommes. Sans doute commencée au moment de la fondation, la rédaction de la règle se prolonge jusque dans les années 534. Cette longue législation sait tout à la fois emprunter aux écrits antérieurs et innover en s’adaptant au propre de la vie féminine (sur le bain, les broderies, la coiffure, le renoncement à l’élégance, le travail de la laine…). Elle instaure une stricte clôture perpétuelle et totale, puisque toute femme entrée au monastère ne peut quitter l’enceinte claustrale jusqu’à son dernier souffle. Cette mesure protectrice qui reprend une prescription attestée dans une communauté du Jura, cherche à réduire par tous les moyens les contacts des sœurs avec le monde pour leur éviter futilité et sources de corruption. Césaire innove également en apportant des prescriptions plus précises en matière d’entrée dans la communauté, d’alimentation, d’office, mais aussi sur le rôle majeur de la supérieure en second aux côtés de l’abbesse. La règle n’est pas le seul document qui témoigne de l’intérêt marqué de Césaire pour le monastère Saint-Jean, réputé abriter deux cents moniales à sa mort. Plusieurs lettres témoignent de son affection pour ses « saintes sœurs ». Au seuil de l’au-delà, il leur consacre la plus grande partie de son testament par crainte que ses successeurs ne leur accordent moins d’égards, et se fait transporter dans la clôture qu’il choisit pour dernière demeure.

Cette règle de Césaire pour les vierges est le point de départ d’une série d’épigones qui reprennent la volonté des communautés de moniales d’être en totale rupture avec le monde et ses vanités. Après avoir quitté la cour de son mari Clotaire Ier, Radegonde († 587), depuis toujours attirée par une vie d’ascèse, reçoit le voile de diaconesse et fonde un monastère à Poitiers pour lequel elle obtient du basileus byzantin un morceau de la Vraie Croix. En conflit avec son évêque, elle se rend au monastère Saint-Jean d’Arles, pour discuter avec l’abbesse du statut de son établissement et de ses relations avec son propre évêque. Elle rentre à Sainte-Croix avec la règle de Césaire pour Saint-Jean, dont elle accentue les pratiques ascétiques en introduisant jeûnes et mortifications.

La fondation de Saint-Jean d’Arles relayée par l’impulsion de la peregrinatio colombanienne qui catalysa les aspirations spirituelles de l’aristocratie franque, marque l’envol du monachisme féminin au début du VIe siècle.

 

Noëlle Deflou-Leca
maître de conférences université Pierre Mendes France Grenoble II

Source: Commemorations Collection 2012

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