Page d'histoire : Début de la publication du Dictionnaire de la langue française d'Émile Littré 1863

Maximilien Paul Émile Littré vers 1900
Photographie de Paul Nadar
Fonds Kodak-Pathé "Album de 500 célébrités contemporaines" - collection Félix Potin
Paris, musée d'Orsay
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Gérard Blot
 

Pour l’auteur, 1863 fut une étape plus qu’un aboutissement. Son Dictionnaire de la langue française avait vu le jour, avec la parution des premiers fascicules, mais le travail entrepris quelque vingt ans plus tôt se poursui- vait. En 1865 enfin, il nota fièrement sur un dernier feuillet : « Aujourd'hui j'ai fini mon dictionnaire. » La publication, échelonnée de 1863 à 1872, aboutit à quatre volumes in-quarto, bientôt augmentés d’un supplément. Le succès fut immédiat.  Un  « monument national » était né.

 

Aujourd’hui, si le Littré reste une référence majeure, que sait-on encore de celui que le Dictionnaire de l'Académie cite comme « le plus grand  lexicographe  du XIXe  siècle », qui, pour Renan, est « une des consciences les plus complètes de l’univers », et, pour Zola, « l'homme du siècle » ?

 

Fruit d’une éducation paternelle sur mesure, héritée des Lumières, Littré, parfait humaniste, et emblématique d’une époque de foi en la science, érige le savoir en idéal absolu : à ses yeux, l’homme a deux devoirs majeurs, s’instruire et instruire autrui. Républicain militant, patriote, libre penseur, il s’engage en politique, est élu député, sénateur, académicien... sans jamais négliger ses travaux d’érudit : ce notable est d’abord un intellectuel. Esprit universel, féru de langues, interne en médecine, traducteur, philosophe, historien… il publie d’innombrables articles et des ouvrages imposants.

 

Abordant son dictionnaire, loin du « Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple » de Rousseau, Littré se présente en héritier d’une longue lignée, « en un domaine aussi rebattu que celui de la lexicographie ». Il n’en est pas moins convaincu de la valeur de son projet : « J'étais le premier qui entreprenait de soumettre en tout point le dictionnaire à l’histoire. » Le premier, aussi, il applique à « la connaissance de notre langue la méthode d'observation et d'expérience », seule valable pour ce théoricien du positivisme, émule d'Auguste Comte.

 

Conçu d’abord comme un dictionnaire étymologique, l’ouvrage s’accrut par remaniements successifs. Littré a relaté en détail ces années d’un travail tantôt « très relevé » intellectuellement, tantôt « humble et mécanique », fait de « laborieuses minuties ». Cet homme austère, qui force l'admiration plus que la sympathie, scrupuleux et opiniâtre, est en proie au doute, et même à l’angoisse, devant l’énormité de la tâche. Pour parvenir au but, il s’impose un « règlement » de vie ascétique, travaillant jour et nuit.

 

Toutes difficultés surmontées, grâce au soutien inconditionnel de son éditeur et ami, Louis Hachette, et au dévouement de ses collaborateurs, dont sa femme et sa fille, l’« édifice » est achevé. Riche d’une foule d’exemples tirés des auteurs français depuis la Renaissance, il « embrasse et combine l'usage présent de la langue et l'usage passé, afin de donner à l'usage présent toute la plénitude et la sûreté qu'il comporte ». Cette vision panoramique et englobante de la langue fait encore aujourd’hui le prix de ce « trésor », où Jean d’Ormesson voit  le « roman de la langue française » : Le dictionnaire d’un certain Émile Littré.

 

Bénédicte Madinier
délégation générale à la langue française et aux langues de France

 


Voir Célébrations nationales 2001, 2011 et publication électronique « Célébrations nationales » 2001, Dictionnaires en langue française.

Source: Commemorations Collection 2013

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