Page d'histoire : Publication du Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe de l'abbé Saint-Pierre 1713

Lettre d'envoi au marquis de Torcy, datée 1er septembre 1712 (page manuscrite portant la signature de Charles Castel de Saint-Pierre, et commençant par : « Je destine cet exemplaire pour M. Le Marquis de Torcy …»)
© Bibliothèque nationale de France
 

Dix à douze années de guerre, menée à grands frais çà et là dans le monde pour régler la succession du dernier Habsbourg d’Espagne, avaient fini par user les résolutions et lasser les patiences, lorsque Louis XIV et la reine Anne d’Angleterre firent prévaloir la paix. Les signatures de traités commencèrent à Utrecht en Hollande, le 11 avril 1713. Mettre un terme à un conflit était une chose, créer les conditions d’un ordre international durable en était une autre : c’est justement ce que recherchait l’abbé Charles Castel de Saint-Pierre (1658-1743) en publiant à Utrecht, en 1713, chez Antoine Shouten, un volumineux ouvrage intitulé Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe. L’auteur, membre de l’Académie française et aumônier de Madame Palatine depuis 1695, avait déjà eu tout loisir d’observer la Cour quand un des plénipotentiaires français au congrès d’Utrecht, l’abbé de Polignac, le prit avec lui comme secrétaire.

L’abbé de Saint-Pierre, touché par la misère des sujets du roi et les souffrances nées de la guerre, proposa « les moyens de rendre la paix perpétuelle entre tous les États chrétiens ». Assurant n’avoir d’autre capacité que celle tirée de l’étude et du désir d’être « un bon citoyen » utile à sa patrie, il se recommandait toutefois d’Henri IV dont il publia le texte d’un projet de paix. Il s’insérait dans une tradition intellectuelle insistant, depuis le XVIe siècle, sur l’existence d’une société internationale et d’un droit gouvernant les rapports mutuels entre les États, le droit des gens. À ses yeux, l’Europe telle qu’elle était ne pouvait jouir d’une paix durable, faute de sûreté dans l’exécution des traités. Quant à l’équilibre tant vanté entre les Maisons de France et d’Autriche, il était insusceptible de prévenir les guerres. Le remède proposé était de former un « Corps européen », une union des 18 principales souverainetés. Elles enverraient leurs députés à un congrès permanent, établi justement à Utrecht. Leurs querelles seraient soumises à un système d’arbitrage, l’usage des armes n’étant admis que contre les seuls ennemis de l’union. C’était donc une « société des nations » avant l’heure qui était proposée, fondée sur le statu quo politique de 1713, chaque souverain devant se satisfaire de ses territoires en renonçant à toute autre prétention. Même s’il ne fut pas réédité au XVIIIe siècle, le Projet assura la renommée posthume de son auteur et fut commenté par Rousseau.



Olivier Chaline
professeur à l’université Paris Sorbonne (Paris IV)

 

Source: Commemorations Collection 2013

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