Page d'histoire : Geoffroi de Villehardouin château de Villehardouin (commune de Val d'Auzon, Aube), 1148 (?) - Messinople (Grèce), 1213

Prise de Constantinople par les Croisés (12 avril 1204) - Huile sur toile d'Eugène Delacroix, 1852
Paris, musée du Louvre - © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / René-Gabriel Ojéda
 

Geoffroi de Villehardouin, né vers 1148 et devenu maréchal de Champagne en 1185, joua un rôle important pendant la quatrième croisade. En 1201, avec le poète Conon de Béthune, il négocia à Venise le transport des croisés et, sur sa proposition, Boniface de Montferrat reçut le commandement de l'armée. La flotte quitta Venise en octobre 1202, mais se dévia sur Constantinople pour y rétablir l’empereur Isaac. Après la prise de la cité en juillet 1203, Villehardouin fit partie de la délégation chargée d'obtenir de l'empereur la confirmation des engagements pris par son fils Alexis, puis de celle qui exigea qu'ils fussent enfin tenus. En 1204, il contribua, après le second siège, à la réconciliation de Baudouin de Flandre, élu empereur latin le 9 mai, et du marquis de Montferrat. Il devint alors maréchal de Romanie.

Après la défaite d'Andrinople en avril 1205, c’est lui qui organisa la retraite, dans des conditions difficiles, avec le doge de Venise. En 1206 et 1207, il participa aux expéditions menées contre le tsar des Bulgares et contre Théodore Lascaris, puis reçut le fief de Messinople de Boniface de Montferrat, dont la mort, en septembre 1207, l'affecta profondément. Il négocia encore le mariage de la fille de l'empereur Henri, successeur de Baudouin, avec le prince bulgare Slav et prit part en août 1208 à la bataille de Philippopoli. Il mourut en 1213 sans être revenu en Champagne.

Sa chronique, La Conquête de Constantinople, relate l’aventure de ces croisés qui, partis délivrer Jérusalem, s’emparèrent de Constantinople. Pour justifier ce détournement, Villehardouin dénonce les défections qui contraignirent les barons à accepter les conditions des Vénitiens et les propositions d’Alexis. Il explique ensuite les premiers échecs par la déloyauté des Grecs qui profitèrent de l'éparpillement des forces des croisés, mais aussi par la cupidité qui priva ces derniers de l’aide de Dieu.

Ses vues d'ensemble manifestent des qualités de stratège : ainsi, dans le récit de la bataille d'Andrinople, il déplore qu'on n'ait pas d'abord regroupé l'ensemble des forces et que par témérité on ait négligé les décisions prises. Il met aussi en valeur la loyauté et le courage pour les opposer, avec un manichéisme qui rappelle la chanson de geste, aux trahisons et lâchetés. C'est d'ailleurs souvent à l'univers épique que se réfère sa vision des hommes et des événements : la figure du vieux doge de Venise, la mort du marquis de Montferrat, sur laquelle il interrompt brutalement mais sans doute volontairement sa chronique, en sont des exemples.

Son style se caractérise par la sobriété. Clairs et fermes, les discours qu'il recompose assurent une fonction d'information et d'argumentation. S’ils s'accompagnent d'une mise en scène, c'est pour donner plus de solennité à une parole qui pour lui a la valeur d'un acte. Mais dès que l'action se joue sur les champs de bataille, il préfère le style indirect qui évite de rompre le rythme narratif. Sa chronique, une des premières œuvres en prose française, est une précieuse contribution à l'élaboration du style historique.

 

Gérard Jacquin
professeur émérite à l’université d’Angers

Source: Commemorations Collection 2013

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