Page d'histoire : Etablissement de relations diplomatiques entre la France et la Chine 27 janvier 1964

Remise des lettres de créance de l'ambassadeur de Chine populaire à l'Elysée en juin 1964
© Ministère des Affaires étrangères
Huang Zhen, premier représentant de la Chine en France en 1964, se tient à côté du général de Gaulle
et de son premier ministre des Affaires étrangères Maurice Couve de Murville

Ce jour-là, alors que la guerre Froide se double du schisme sino-soviétique et que la France et la Chine nationaliste repliée à Taiwan continuent d’échanger des ambassades, le Quai d’Orsay et le Waijiaobu émettent un communiqué conjoint : « Le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République populaire de Chine ont décidé d’un commun accord d’établir des relations diplomatiques. Ils sont convenus à cet effet de désigner des ambassadeurs dans un délai de trois mois ».

La concision de l’annonce porte l’empreinte de la politique du général de Gaulle. Jugée inopportune par les alliés atlantiques de la France, cette initiative isolée a par la suite été qualifiée de « geste historique », au prix toutefois d’une reconstruction et d’une remise en cause des choix opérés en 1964.

Au lendemain de la victoire communiste, le 1er octobre 1949, outre les états du bloc socialiste ou des pays asiatiques comme l’Inde, quelques chancelleries du camp occidental, dont le Royaume-Uni, avaient reconnu la République populaire de Chine, avant que le déclenchement de la guerre de Corée freine ce processus et limite la participation de Pékin aux instances internationales, notamment aux Nations unies où le gouvernement de Taipei a continué d’occuper le siège de la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité. Dans le cas de la France, ses rapports avec Pékin ont également été tributaires du soutien apporté par le régime de Mao Zedong au Vietminh, puis au FLN. Mais une fois l’hypothèque algérienne levée par les accords d’Évian, la reconnaissance de la Chine populaire s’est aussitôt inscrite dans la politique d’indépendance nationale poursuivie par le général de Gaulle.

La première étape de la normalisation est préparée par le voyage officieux d’Edgar Faure à Pékin en octobre 1963 ; des négociations secrètes sont ensuite conduites à Berne par Jacques de Beaumarchais, alors directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères. Les instructions qu’il a reçues du général le chargent « d’aboutir à un accord sans conditions ni préalables », la France ne devant pas prendre parti sur l’admission de la Chine populaire aux Nations unies et sur la question de Taiwan. La formulation du communiqué est éloquente à cet égard dans la mesure où les deux gouvernements ne procèdent pas formellement à une reconnaissance mutuelle. L’absence de déclaration expresse en ce sens permit ainsi au gouvernement français de ne pas se prononcer sur la question de la partition de la Chine. Pour autant, c’est bien sur la base de l’effectivité du gouvernement de Pékin que le Général a décidé de nouer des relations diplomatiques comme il s’en est expliqué lors de la conférence de presse du 31 janvier 1964 : « Du fait que depuis quinze ans, la Chine presque tout entière est rassemblée sous un gouvernement qui lui applique sa loi et, qu’au dehors, elle se manifeste comme une puissance souveraine et indépendante, la France se trouvait disposée à nouer avec Pékin des relations régulières. (…) Le poids de l’évidence et celui de la raison grandissant jour après jour, la République française a jugé, pour sa part, le moment venu de placer ses rapports avec la République populaire de Chine sur un plan normal, autrement dit diplomatique. »

Si Paris ne prend pas l’initiative de rompre ses relations avec Taipei, si à Pékin, vingt-quatre heures après la diffusion du communiqué, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères rappelle l’opposition du régime communiste à la coexistence de deux Chines, il serait excessif de penser que le général de Gaulle ait cherché à imposer celle-ci ; il a toutefois refusé de prendre position, laissant à Taipei l’initiative de la rupture. De fait, l’équivoque entretenue par Paris est levée lorsque, le 1er février, le gouvernement nationaliste annonce qu’il rompt ses relations avec la France à compter du 10 février 1964.

Pour mesurée qu’ait été la politique du général de Gaulle, la décision de 1964 a, par la suite, fait l’objet d’une double reconstruction, tant en ce qui concerne les termes de la normalisation qu’en ce qui concerne sa portée. Il a été admis, sur un mode implicite d’abord, puis sur un mode explicite, dans le communiqué conjoint du 12 janvier 1994 notamment, que le gouvernement français avait reconnu ab initio la souveraineté de la République populaire de Chine sur Taiwan. Innombrables sont également les déclarations affirmant que la France a été le premier pays occidental à reconnaître la Chine populaire, alors que la primauté de cette initiative revient à d’autres. De même, la normalisation franco-chinoise aurait joué un rôle décisif pour sortir la Chine de son isolement international. Non seulement le Général avait refusé toute négociation sur l’entrée de la Chine populaire aux Nations unies à la faveur de la normalisation franco-chinoise, mais celle-ci n’a pas exercé d’effet d’entraînement au niveau bilatéral comme au niveau multilatéral. Ce sont les signes précurseurs d’une normalisation sino-américaine au début des années 1970 qui ont conduit presque toutes les chancelleries à se tourner à leur tour vers Pékin et, le 25 octobre 1971, une majorité simple se dégageait à l’Assemblée générale des Nations unies en faveur du remplacement de la République de Chine par la République populaire de Chine. Enfin, le geste historique du général de Gaulle aurait nourri une relation privilégiée entre la France et la Chine. Or, la coopération franco-chinoise n’a pu se développer qu’après le lancement des réformes en Chine à la fin des années 1970, à une époque où la France avait donc perdu tout avantage d’une certaine antériorité. La faible portée économique de la normalisation de 1964 avait d’ailleurs été pressentie par le Général lui-même : « (…) on doit se garder de nourrir trop d’illusions à cet égard. C’est ainsi que, dans le domaine des échanges économiques, ce qui se fait actuellement et qui peut, à coup sûr, être amélioré, restera longtemps limité ». Aujourd’hui, le déficit des échanges avec la Chine reste le premier déficit commercial français et la part de marché de la France en Chine demeure près de quatre fois inférieure à celle de l’Allemagne. Cinquante ans après, l’épisode de 1964 demeure un référent symbolique fort, mais, par là même, sans portée réelle sur les dossiers bilatéraux en cours.

Françoise Mengin
directrice de recherche à Sciences Po
centre d’Études et de Recherches Internationales

Source: Commemorations Collection 2014

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