Page d'histoire : Georges Jacob Cheny (Yonne), 6 juillet 1739 - Paris, 5 juillet 1814

Fauteuil à l'étrusque en acajou de Georges Jacob, 1787
Versailles, châteaux de Versailles et du Trianon
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Droits réservés
Ce fauteuil faisait partie des sièges de la "Laiterie" de Marie-Antoinette à Rambouillet

Elévation d'un piétement de table (de Georges Jacob) pour la chambre des bains de Madame Adélaïde, vers 1780
Dessin de Jean Siméon Rousseau (1747-1820) et Jules Hughes Rousseau (1743-1806)
Versailles, châteaux de Versailles et du Trianon
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux

 

Qui ne connaîtrait la place de Georges Jacob dans l’histoire du mobilier français pourrait s’étonner que l’on commémore un menuisier deux siècles après sa mort. Pour tous ceux qui s’intéressent aux arts décoratifs, ce nom exprime l’excellence de la fabrication du siège à Paris à l’époque de Louis XVI et, par l’activité de ses fils et petit-fils, le plus grand renom du mobilier français, du Directoire à la Monarchie de Juillet.

C’est par son travail et son audace que Georges Jacob est arrivé au sommet de sa profession. Né dans un petit village de Bourgogne, hors du milieu des menuisiers ébénistes de Paris (son père était vigneron), il bénéficia de la présence dans la capitale d’une tante paternelle, pour entrer en apprentissage, à l’âge de 17 ans, chez le gendre de cette dernière, le menuisier Jean-Baptiste Lerouge. Lerouge mourut dès l’année suivante, mais sa veuve continua à faire marcher l’atelier où Jacob put poursuivre sa formation. On pense qu’il a rejoint ensuite, comme compagnon, l’atelier de Louis Delanois qu’il avait connu chez Lerouge et avec lequel il entretiendra des relations amicales. Quoi qu’il en soit, il obtint la maîtrise le 4 septembre 1765, fit enregistrer son estampille, se maria en 1767 avec une fille de brodeur, Jeanne-Germaine Loyer. Installé d’abord rue Beauregard, il habitait en 1770 rue de Cléry lors de la naissance de son second fils (le futur Jacob-Desmalter) puis transféra ses ateliers rue Meslay dans un bâtiment qu’il acheta 20 000 livres en 1775. La firme y demeurera jusqu’en 1825.

L’achat de cet immeuble (suivi d’autres en 1776 et 1777) prouve qu’entre 1765 et 1775 Georges Jacob avait su développer son industrie. La présence de son estampille permet de constater qu’il réalisa au cours de cette décennie de nombreux sièges de style Louis XV ainsi que des sièges dits Transition. Sa renommée devait être bien établie lorsque la maison du comte d’Artois lui passa commande en 1777 d’un mobilier exceptionnel pour un boudoir turc à aménager au palais prieural du Temple à Paris. Dans l’état actuel des recherches, il s’agit de la première réalisation de Jacob, en collaboration avec le sculpteur sur bois Jean-Baptiste Rode et le doreur Ramier, qui soit documentée. Jusqu’à la Révolution, tout en poursuivant une production courante, il participa à la confection de nombreux ensembles mobiliers (sièges et consoles) en bois richement sculpté et doré, en association avec des sculpteurs dont le nom est, hélas, la plupart du temps inconnu. Il semble bien en effet, que dans la plupart des cas, il ait « centralisé » les commandes et qu’il ait été le principal interlocuteur de ses clients. Ceux-ci faisaient partie de la plus haute aristocratie française et européenne : la reine Marie-Antoinette, les frères du Roi, le comte de Provence et le comte d’Artois, déjà cité, le duc Charles-Auguste de Deux-Ponts, le prince de Galles, le duc de Penthièvre, le marquis de Vaudreuil, etc. (curieusement, il travailla très peu pour le Garde-Meuble de la Couronne qui lui préférait le menuisier Sené).

Il ne traitait pas directement avec ses clients, mais avec leurs représentants, notamment des architectes, ornemanistes ou marchands-merciers qui lui confiaient des dessins. Nous ignorons souvent le nom de ces créateurs ; on sait toutefois que le prince de Galles passa par le marchand-mercier Dominique Daguerre, installé à Londres et, grâce à une lettre de l’architecte Belanger, que l’ornemaniste Jean-Démosthène Dugourc, beau-frère de ce dernier, dessinateur du cabinet de Monsieur puis du Garde-Meuble de la Couronne, collabora de manière fructueuse avec le menuisier.

Si on retrouve dans sa production certains traits du style Louis XVI proches de ceux pratiqués par ses confrères, il en est d’autres qui constituent comme une marque de fabrique ou qui semblent avoir été choisis pour tel ou tel commanditaire. La démonstration la plus frappante concerne les ensembles de sièges exécutés pour Marie-Antoinette sur lesquels apparaissent des éléments spécifiques répondant au goût de la reine : montants des dossiers en torches cannelées, pieds en carquois, cornes d’abondance et arcs de l’Amour en haut des dossiers, têtes de chiens, dauphins ou sphinx aux accotoirs. Toutefois, c’est dans une veine naturaliste qu’en 1787 il réalisa avec Rode le mobilier de la chambre de la souveraine au Petit Trianon, comble de raffinement et de virtuosité.

Parallèlement, Georges Jacob fait œuvre de pionnier dans la même décennie 1780 en épousant les tendances de la mode, marquées par l’anglomanie et le goût antiquisant. Il est sans doute le premier à s’inspirer du mobilier anglais en travaillant l’acajou et en reprenant les styles d’outre-Manche (dossiers ajourés en lyre, formes dites anglo-chinoises). Il est aussi un des initiateurs du style « étrusque », sous l’influence non seulement de Dugourc, mais encore de deux autres artistes, les peintres Hubert Robert et Louis David. Sur les dessins du premier, il crée en 1787 un mobilier en acajou destiné à la laiterie de Marie-Antoinette à Rambouillet, annonçant le style du Consulat ; le second lui demande, pour son propre atelier, des prototypes de meubles « antiques » (fauteuil, table, lit de repos) afin de lui permettre de situer les personnages de ses tableaux dans un environnement véridique. Sa clientèle éprise de nouveautés comprend le duc d’Orléans, le banquier Laborde, la marquise de Marbeuf, des étrangers fixés à Paris comme le comte Kerry ou la princesse Kinsky, ou encore le roi de Naples.

Bien que des dénonciations aient été portées contre lui pendant la Terreur, Georges Jacob ne fut pas inquiété grâce à la protection de David. Il fournit même des meubles pour la Convention et les bureaux des Comités. À cette occasion, il reçut des modèles de deux architectes que David lui recommanda, Percier et Fontaine, point de départ d’une collaboration fructueuse. En même temps, il se lança dans la fabrication de meubles d’ébénisterie, grâce à la suppression des corporations en 1791.

Après qu’il eut laissé son affaire à ses deux fils le 17 avril 1796, la maison, connue sous le nom de Jacob Frères, continua son expansion. La mort du fils aîné Georges II le 23 octobre 1803 obligea le père à reprendre du service auprès du cadet en s’associant à lui sous le nom de Jacob-Desmalter et Cie, mais son rôle semble difficile à cerner alors que l’entreprise, principal fournisseur du Mobilier impérial, atteignait son apogée. Solidaire de son fils, il fut entraîné dans sa faillite en octobre 1813 et, retiré dans une maison religieuse à Chaillot pour éviter d’être poursuivi, il mourut le 5 juillet 1814. Ainsi n’eut-il pas le bonheur de voir renaître dès 1815 l’établissement illustre qu’il avait fondé.

Jean-Pierre Samoyault
conservateur général honoraire du patrimoine
ancien administrateur général du Mobilier national et des Manufactures des Gobelins,
de Beauvais et de la Savonnerie

Source: Commemorations Collection 2014

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