Page d'histoire : Camille Claudel Fère-en-Tardenois (Aisne), 8 décembre 1864 - Montdevevergues (centre de santé de Montfavet, Vaucluse), 19 octobre 1943

Camille Claudel travaillant à Sakountala dans son atelier - Photo William Elborne
© Musée Rodin (Paris)
Au second plan, la sculptrice anglaise Jessie Lipscomb (1861-1952)

Aînée d’une famille bourgeoise de trois enfants, Camille Claudel naquit dans un village près de Soissons. Sa vocation artistique l’incita dès l’enfance à pétrir la glaise et à peindre de remarquables portraits grâce au soutien précieux d’un père aimant qui compensa un temps la froide indifférence d’une mère rigide. Poursuivant sa vocation, elle s’installa avec celle-ci, son frère et sa sœur à Paris, où elle suivit les cours de l’Académie Colarossi.

À dix-huit ans, la jeune fille bénéficia des conseils d’Alfred Boucher qui, appelé en Italie, sollicita Rodin pour le remplacer auprès des jeunes filles qui partagaient avec elle un atelier. Sa première rencontre avec Rodin, en 1882, fut donc éminemment artistique et professionnelle, même si le sculpteur ne tarda pas à être séduit par le tempérament fougueux de la jeune fille. Très vite, ils partagèrent l’amour du métier, passion exclusive de leur vie.

Rodin venait d’obtenir la commande officielle de la Porte de l’Enfer, destinée au musée des Arts décoratifs, et cherchait de nouveaux collaborateurs. Ainsi, l’élève Camille Claudel qui allait devenir inexorablement collaboratrice, maîtresse et muse, vit s’ouvrir les portes de son atelier.

Auprès du maître, elle acquit le sens de l’observation, développa son intuition déjà profonde du modelé, comprit l’importance de l’expression et du caractère et se familiarisa avec la fameuse théorie des profils chère à Rodin et héritée des anciens. Durant ces années, leur relation se confond avec l’histoire de leur production.

Tout en travaillant aux grandes commandes de Rodin, Camille Claudel poursuivait sa création personnelle, que le maître soutenait et tentait de faire connaître. Pour son premier grand projet, la jeune artiste choisit de célébrer, en une œuvre ambitieuse, le triomphe de l’amour. Le groupe de Sakountala, plein d’intensité et d’émotion, constitue une merveille de tendresse et de sensualité pudique. Empreint d’un grand classicisme, d’un équilibre plastique parfait et d’un modelé harmonieux, il mêle la filiation avec Rodin et une réelle autonomie qui lui valut la mention honorable au Salon des Artistes français. À l’apogée de ces années de passion, Camille Claudel réalisa La Valse, dont la fluidité des formes, la modernité de la composition et le dynamisme du groupe révèlent une grande virtuosité d’exécution. La critique salua avec enthousiasme le savant déséquilibre de l’œuvre, qui connut un franc succès commercial, amorçant aussi la reconnaissance officielle.

Au sein de cette relation professionnelle et personnelle d’une exceptionnelle unité, Camille Claudel espérait avoir trouvé l’homme capable de la soutenir et de calmer ses inquiétudes. Pour autant, jamais Rodin ne se résigna à quitter sa compagne des mauvais jours. Alors s’esquissa pour la jeune artiste, la descente aux enfers dont on connaît l’issue tragique. Elle souhaita à jamais s’émanciper de la tutelle de son maître et amant, désormais trop encombrante, en recherchant toujours plus de reconnaissance. Progressivement, elle s’isola. Progressivement, elle s’éloigna jusqu’à rompre définitivement avec le sculpteur en 1892, pour se consacrer exclusivement à sa carrière.

Elle réalisa alors à travers une allégorie acide, intitulée L’Âge mûr, une œuvre intimement liée à sa rupture. Dans une dynamique saisissante, le groupe de trois personnages présente un couple au pied duquel une jeune femme, en parfait déséquilibre, implore, les bras tendus dans un dernier effort, celui qu’elle aime. Abandonnant derrière lui sa jeune maîtresse, l’homme de la maturité, résigné, est happé par une créature effrayante. Dans cette œuvre à la facture exceptionnelle, Camille Claudel proclamait sans vergogne son tourment et le drame de sa destinée. Toutefois, la dimension trop autobiographique eut raison de l’État qui renonça finalement à lui passer commande.

Préférant désormais les amitiés littéraires de son frère, Camille Claudel travailla sans relâche pour protester, avec toujours plus de véhémence, contre l’ascendant de Rodin sur son œuvre. Ainsi dans un souci d’affirmer son identité créatrice, en totale rupture avec celle du sculpteur, elle privilégia des recherches presque opposées à celles du maître qui revisitait à cette époque son œuvre par le biais d’agrandissements. Elle privilégia au contraire les scènes intimistes jusque-là consacrées au domaine pictural. Dans ces nouveaux sujets, l’artiste s’efforçait de capter et de restituer de brefs moments de la vie ordinaire. Dos au spectateur, les Causeuses, blotties dans l’encoignure d’un paravent, bavardent, nues, assises sur deux bancs. Tout entières à leurs confidences, les têtes relevées, les visages concentrés trahissent leur impatience face à l’inestimable secret. À l’apogée de son art, elle affirma une nouvelle fois son originalité en réalisant dans la veine de l’Art nouveau La Vague, sous l’influence directe d’Hokusai et du japonisme. Dans les deux cas, le traitement particulier et complexe des chevelures, l’utilisation de matériaux difficiles comme le marbre-onyx, l’usage sophistiqué de la polychromie et l’audace des compositions… nourrissaient son goût de la performance.

Mais cette attirance pour l’ornement ou la sculpture décorative se révéla aussi infructueuse et inopérante, notamment dans l’évolution de ses fameuses scènes intimistes dont la veine s’épuise dans ses dernières tentatives. Seuls restent le jeu coloriste et la préciosité des matériaux, plus proches du bibelot ou de l’objet d’art que de la véritable statuaire.

Malgré les troubles qui commençaient à se manifester, Camille Claudel poursuivit son œuvre et exposa jusqu’en 1905. Mais le groupe de Persée et la Gorgone qu’elle venait d’exécuter révélait davantage les traces de l’apprentissage. D’un classicisme très formel et dans un vocabulaire stylistique traditionnel, cette composition dans laquelle aucun attribut ne manque fut à peine remarquée au Salon de la Nationale de 1902.

Celle qui avait fait de sa vie un combat accumulait désormais les difficultés matérielles. Une persécution latente lui éprouvait les nerfs. Elle avait dépassé la quarantaine et de sa légendaire beauté il ne restait plus rien. Dans son irrémédiable démence, sa rancune envers Rodin s’envenimait toujours davantage. Elle détruisait plus qu’elle ne créait, les sujets s’épuisaient, la laissant dans l’incapacité de se renouveler.

Imprévisible, excentrique et intraitable, elle ébranlait par son comportement original la cellule familiale, pleine de convenances et aux principes établis, exaspérant une mère pétrie de certitudes et un frère à la carrière prometteuse.

Une semaine après la mort de son père, elle fut internée, à la demande de sa famille, le 10 mars 1913, à Ville-Évrard, puis à l’asile de Montdevergues, près d’Avignon, cessant définitivement de sculpter. Elle s’éteignit dans la solitude de ses trente années d’exil à l’âge de 79 ans.

 

Véronique Mattiussi
responsable du fonds historique au musée Rodin

 

Voir Célébrations nationales 1993, p. 218

 

 

 

Pour aller plus loin...

 

Mais aussi...

  • Le musée des Arcades, du centre hospitalier de Montfavet (Vaucluse) où elle fut internée près de trente ans, présente le patrimoine historique de l'hôpital et retrace l'histoire de la psychiatrie. Il organise également des visites sur le thème "Hôpital, lieu de création et de réflexion" en s'appuyant sur le parcours de l'artiste.
  • Les Archives diplomatiques conservent le dossier de carrière de Paul Claudel.

Source: Commemorations Collection 2014

Liens