Page d'histoire : Félix Leclerc La Tuque (Québec), 2 août 1914 - Saint-Pierre-de-l'Île-d'Orléans (Québec), 8 août 1988

Le 2 août 1914, à La Tuque en Mauricie, région située précisément entre Montréal et Québec, au cœur des montagnes, des forêts, des lacs et des rivières, naissait celui qui, le premier, saurait nommer ce vaste pays-là. Félix Leclerc, fils de Léo, marchand de bois, était le sixième enfant d’une famille qui en comptait onze. Il y a un siècle, les descendants de Normands, de Bretons, de Jurassiens expatriés en Amérique avaient une terre à bâtir et à peupler aussi, le Québec.

« Une maison chaude, du pain sur la nappe, des coudes qui se touchent, voilà le bonheur. » C’est par ces mots que Fabiola, la mère du jeune Félix, allait lui inculquer le respect des valeurs simples que, poète devenu, il ne cesserait de cultiver. Jean Giono en préface d’un récit autobiographique de Leclerc, Moi mes souliers, publié en 1955 écrivait : « Il se montre tel qu’il est. Il ne se complique pas l’existence et il ne va pas compliquer la mienne. Je l’écoute comme une voix nouvelle. Il raconte son histoire sans forcer son talent, sans vanité, sans vouloir se faire prendre pour ce qu’il n’est pas. »

Félix Leclerc, tout en s’adonnant à la littérature, sa véritable passion, devint tour à tour animateur et auteur radiophonique, cultivateur, embaumeur et comédien. Entre 1943 et 1959, il publia deux romans, trois recueils de contes, de fables et de poèmes, ainsi que plusieurs pièces de théâtre. C’est cependant la chanson qui lui vaudra succès et renommée.

Le 1er avril 1950, Jacques Canetti, célèbre impresario français faisant escale à Montréal, réclama de rencontrer un artiste typiquement canadien. On désigna Félix Leclerc qui pourtant n’avait jamais souhaité chanter ses chansons autrement qu’en forme d’intermèdes de ses pièces de théâtre. En 45 minutes, douze chansons furent enregistrées à l’insu de Félix. Canetti proposa un contrat de cinq ans au poète qui voyait là une belle occasion de s’offrir quelques jours de vacances et de découvertes en France, au pays de ses ancêtres, sans se douter du succès qui l’y attendait.

« Il a fait couler un sang vivace qui ne coulait plus dans nos artères et qui nous a revivifiés. » C’est ainsi que Jacques Canetti allait plus tard expliquer le succès de Félix Leclerc en France. Pierre Mac Orlan, à qui Canetti avait fait entendre les chansons de son « Canadien », tel qu’on le présentait sur les affiches, réagit : « Tu nous proposes ça, et c’est certain qu’il a le Grand Prix du disque ». Ce qui fut fait. Mac Orlan écrivit en préface du disque : « Félix Leclerc est un grand poète populaire authentique dont le lyrisme est pétri dans la substance même de son pays. L’œuvre de Félix Leclerc est importante. » Moi mes souliers, Le P’tit bonheur, Bozo, L’hymne au printemps, Le Roi heureux, Francis, sont quelques-unes des douze chansons qui figurent sur ce disque-culte.

Alors que la France résonnait au son de bluettes et autres espagnolades, sans le savoir ni en tirer quelques fiertés, Félix, en chantant accompagné de sa seule guitare, un pied sur une chaise et vêtu d’une chemise de bure, ouvrit la voie aux chanteurs à guitare qui viendraient à sa suite. Brassens admit : « Félix a été le premier de l’opération guitare ». Brel aurait dit : « Sans lui, nous serions tous devenus comptables ». Léo Ferré : « Leclerc, la clarté, le temps de s’farcir l’Atlantique et de se retrouver de l’autre côté avec des rennes dans la voix, et c’est Leclerc qui chante avec des larmes qui ont l’accent du Berry ». Ils sont légion ces artistes québécois et français, Maxime Leforestier, Hugues Aufray, Guy Béart, Yves Duteil, Michel Rivard, Paul Piché, à s’être inspirés de Félix Leclerc véritable pionnier, bouleversant de sincérité, chaleureux et pur, grave et sincère, porteur d’indignations, de révoltes, mais aussi de tendresse, de sagesse, d’espoir, de liberté et de mélancolie.

Jean-Paul Sermonte écrit dans Félix Leclerc le roi-poète : « Félix Leclerc, la première et la plus belle offrande du Québec à la France. »

En France, sa chanson Le P’tit bonheur figure au programme scolaire pendant des décennies, un collège porte son nom à Longny-au-Perche (Orne). Au Québec, nombre d’institutions, un trophée, une autoroute de 350 km reliant ses deux coins de pays, Vaudreuil et l’Île d’Orléans, portent le nom de Félix Leclerc. Au pays du Je me souviens, la poésie n’est jamais loin.

Monique Giroux, C. M.
journaliste-productrice
Radio-Canada

Source: Commemorations Collection 2014

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