Page d'histoire : Louis-Sébastien Mercier Paris, 6 juin 1740 - Paris, 25 avril 1814

Le Carnaval des rues de Paris
Estampe d'Etienne Jeaurat, peintre, et Jean Benoît Winckler, graveur, 1778
© Bibliothèque nationale de France
 

Mercier est né quai de l’École, entre le Pont-Neuf et le Louvre. C’est son regard aigu et familier sur la capitale qui a fait le succès du Tableau de Paris (1782-1788). « Voyons le monde, s’il est possible, avant d’en sortir », annonce joliment l’auteur. Pour remplir ce superbe programme, il lui fallait être un authentique écrivain et non pas un petit-maître pourvoyeur de croquis sur la vie quotidienne comme le pensent encore trop de lecteurs hâtifs. Et il lui fallait même quelque génie pour rendre compte aussi magistralement de la Révolution française dans son Nouveau Paris (1799) : un livre trop méconnu et même ignoré lors du bicentenaire de la Révolution (sans doute parce que Mercier y a fait une des premières critiques de la Terreur). Mais Hugo et Michelet, entre autres, ont su en tirer le meilleur parti, sans compter Baudelaire qui écrit, en 1862, à propos de cet ouvrage : « C’est merveilleux ». Le moment est venu de lire Mercier comme il le mérite, alors que ses principaux livres sont désormais disponibles dans de vraies éditions enfin complètes et fiables.

En 1771, avec sa célèbre utopie de L’An 2440, Mercier avait acquis une renommée européenne, puis il se fit connaître comme « dramaturge » (33 pièces imprimées entre 1769 et 1809). La publication de Du théâtre en 1773 marque un tournant dans sa carrière : cet ouvrage incisif, considéré aujourd’hui comme une synthèse critique essentielle, dévoile le visage querelleur du « bon Mercier » qui se revendique désormais « hérétique en littérature ». Pour reprendre deux termes qui figurent dans sa Néologie, il préférera toujours « râler » à « pantoufler ». On lui fera payer cher cet individualisme radical et ce parti pris anticlassique en le stigmatisant comme un esprit fêlé et un écrivain déclassé. Le milieu qu’il fréquente n’a pourtant rien à voir avec une quelconque bohème littéraire puisque Mercier dîne chez Grimod de La Reynière avec Beaumarchais, que ses amis proches sont Rétif, Joubert, Fontanes, Fanny de Beauharnais, Delisles de Sales, etc. Il joua, en outre, un rôle public éminent comme journaliste reconnu, comme élu à la Convention, puis au Conseil des Cinq-Cents et membre fondateur du nouvel Institut national.

Mercier contribua lui-même à brouiller durablement son image, parce qu’il aimait présenter ses idées à travers des paradoxes incompréhensibles pour ses contemporains et que ses ouvrages avaient des contours flous en raison de sa préférence pour une écriture fragmentaire. Reste que Mon bonnet de nuit (1784-1786) est un manifeste important du premier romantisme. Prôneur de Shakespeare et de Dante, Mercier a dialogué avec Schiller. Quant à la Néologie (1801), elle a fait entendre un son nouveau dans la littérature. L’auteur du Tableau de Paris fut bien, selon ses propres termes, « tour à tour créateur, tâtonneur, inventeur, constructeur, réformateur ». Il est temps de rendre pleinement justice à ce grand « oublié » des histoires littéraires.

Jean-Claude Bonnet
directeur de recherche au CNRS

Source: Commemorations Collection 2014

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