Page d'histoire : Maurice Leblanc Rouen, 11 décembre 1864 - Perpignan, 6 novembre 1941

On a longtemps jugé avec condescendance l’auteur d’Arsène Lupin : le succès en fit un écrivain populaire. Si quelques critiques se montrèrent enthousiastes, on crut souvent bon de faire la fine bouche. Ce n’est que dans les années trente que l’on rendit enfin hommage à l’écrivain. Ainsi Frédéric Lefèvre, qui écrit dans La République : « Maurice Leblanc est un authentique écrivain. Je le vois très bien représentant à l’Académie la littérature romanesque ».

On trouve chez le jeune Normand beaucoup des traits qui le prédisposaient à écrire les aventures de Lupin : il est rêveur et passionné, très imaginatif, d’un romantisme qui lui fait copier sur des carnets ses poésies de prédilection, pour les réciter en marchant dans les forêts du Val de Seine.

Les ruines de l’abbaye de Jumièges, près desquelles il a passé ses vacances d’enfant, lui ont donné le goût de l’art et d’un passé historique ou légendaire très présent dans les aventures de Lupin, qui évoquent souvent les manoirs du pays de Caux.

Maurice est aussi un travailleur obstiné : au lycée de Rouen, il obtient tous les prix. Il entretient les meilleures relations avec sa sœur Georgette, qui devait devenir l’interprète de Maeterlinck. Il écrit dans le roman L’Enthousiasme : « Admise en l’intimité de mes soirées studieuses, elle m’écoutait, faveur inestimable, déclamer mes tentatives littéraires… »

C’est un sportif. Il fait d’une traite à bicyclette la route de Paris à la côte normande, où il passe les beaux jours. Il collabore alors à Gil Blas, qui lui consacre cet Instantané : « Taillé en force et s’habillant avec une recherche comme étudiée dans les vieilles gravures de mode de 1830 […] Offre cette étrange dualité d’être dans la vie l’homme le plus correct et le plus rangé, et de concevoir dès qu’il se met au travail une vision brutale et presque exaspérée de l’amour ».

L’homme le « plus rangé » ? En fait, comme Lupin, il ne saurait voir passer une jolie femme sans tenter sa chance… De longues lettres à ses meilleurs amis témoignent d’une vie parfois agitée… qui l’amènera à s’aménager une garçonnière au Trianon-Palace de Versailles.

C’est un dandy. Une galerie, en 1893, expose des portraits signés Jean Veber. On y voit notre jeune écrivain, ganté de blanc, une fleur rouge à la boutonnière…

Après le vélo est venue l’époque de l’automobile. Maurice voyagea en Panhard-Levassor dès 1895. Il était passionné de ce modernisme présent dans L’Aiguille creuse, avec ce téléphone qui relie Lupin aux quatre coins du monde ou ce sous-marin qui lui permet d’échapper à l’inspecteur Ganimard.

Maurice fut un travailleur obstiné, et un confrère dévoué, prenant des responsabilités au Syndicat des romanciers, ou à la Société des Gens de Lettres, dont il fut le vice-président.

Il faut aussi souligner sa modestie. Il fut le premier surpris des succès de son Lupin, et crut d’abord qu’ils étaient dus au génie commercial de l’éditeur Lafitte, dont la publicité parlait de lui comme du Conan Doyle français. Mais, trente ans plus tard, voyant les sollicitations qui lui venaient de toutes parts pour traduire ou adapter ses livres, il était obligé de se dire, comme il le note à propos de Sherlock Holmes, que « créer un type, ne fût-ce qu’un seul », est sans doute « la marque de quelque souffle intérieur ». 

 

Jacques Derouard
professeur de lettres

Source: Commemorations Collection 2014

Personnes :

Derouard, Jacques

Thèmes :

Littérature

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