Page d'histoire : Carle Vanloo Nice, 15 février 1705 - Paris, 15 juillet 1765

Énée portant Anchise, huile sur toile de Carle Vanloo, 1729, Paris, musée du Louvre.
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) /
René-Gabriel Ojéda

Comme Antoine Dauvergne en musique ou Évariste Parny en poésie, Charles-André Vanloo (1705-1765), dit Carle, est l’archétype du praticien célèbre en son temps, mais auquel la postérité ne reconnaît qu’un talent mineur dans la généalogie du génie. Du culte moderne de l’originalité, Carle Vanloo sourit en silence, convaincu de la faible part de nouveauté que peut porter un seul talent en peinture en regard de la richesse de la tradition. Sa personnalité n’est pourtant pas sans surprise.

Issu d’une famille de peintres hollandais dont les membres ont connu une fortune irrégulière, Carle conçoit son art comme un service d’État, dont la légitimité repose sur la satisfaction de la commande. Formé dans l’atelier parisien de son frère Jean-Baptiste, il obtient en 1724 le premier prix de peinture de l’Académie royale, qui lui permet d’être pensionné à l’Académie de France à Rome à partir de 1728. Fasciné par ses facilités, le directeur de l’institution, Nicolas Vleughels, ferme les yeux sur les commandes que Carle accepte de commanditaires romains et couvre son départ pour Turin en avril 1732. Officiellement, celui-ci a pour but d’éviter un mariage avec une veuve romaine, mais étant donné le bon accueil qui est fait au jeune peintre par le roi de Sardaigne, en un temps où la tension avec la couronne de France est forte, on peut envisager pour ce séjour des motivations diplomatiques. D’ailleurs, Carle épouse alors à Turin la musicienne de cour Christina Somis, dont le père, le maestro Jean-Baptiste Somis, est un proche de Charles-Emmanuel III de Savoie.

Prélude à l’une des carrières artistiques les plus remarquables du XVIIIe siècle, le séjour italien de Carle Vanloo, semé de réalisations prestigieuses au sein du palais de Stupinigi et du palazzo Reale de Turin, lui procure le soutien immédiat du Mercure de France lors de la présentation de ses oeuvres au salon de 1735. Jusqu’en 1747, les éloges de sa maîtrise de toutes les parties de la peinture, de son art subtil de la référence aux grands maîtres et de sa gamme iconographique couvrant toute la typologie des genres, ne tariront pas. Le redouté critique Lafont de Saint-Yenne l’admire et reconnaît en lui un maître de la « grande manière », ce que confirme sa  nomination à la direction de l’École royale des élèves protégés (1748), qui sont le clou du salon, bien qu’après 1750 la critique ne le ménage plus. En 1757, son Sacrifice d’Iphigénie (1757) est éreinté par un pamphlet d’une violence sans précédent. Mais Carle en profite pour construire une efficace médiation publique. Son monumental Portrait de mademoiselle Clairon en Médée (Potsdam, Neues Schloss) est ainsi présenté dans son atelier puis à Versailles avant de rejoindre les cimaises du salon de 1759, non sans faire l’objet d’un copieux livret explicatif. Carle joue aussi du coup d’éclat : l’autodestruction de ses oeuvres en plein salon (1738, 1763) discrédite habilement la critique négative, et sa Madeleine pénitente (1761) déclenche la première querelle publique relative à l’indécence de l’art salonnier.

Choyé par le roi qui lui accorde les fonctions de directeur de l'Académie et de Premier peintre du roi en 1763, loué par la critique éclairée (Cochin, Grimm, le comte de Caylus et même Diderot), Carle Vanloo est à ce jour l’une des figures artistiques les plus représentatives du cosmopolitisme monarchique des Lumières, ce que ses successeurs, à commencer par Jacques-Louis David, ne lui ont pas pardonné.

Christophe Henry
professeur agrégé d’arts plastiques
docteur en histoire de l’art

Source: Commemorations Collection 2015

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