Page d'histoire : Suzanne Valadon Bessines-sur-Gartempe (Haute-Vienne), 23 septembre 1865 - Paris, 7 avril 1938

Suzanne Valadon ne fut l’égérie d’aucun groupe, à un moment où les femmes étaient les figures emblématiques et les compagnes de route des mouvements picturaux naissants : cubisme, surréalisme, abstraction. Apollinaire dans ses chroniques d’art ne balance pas entre Suzanne Valadon et Marie Laurencin. Ce sont souvent d’ailleurs les thuriféraires de Picasso qui furent les plus féroces. André Breton exécuta Utrillo, mais autant André Salmon et Max Jacob que Guillaume Apollinaire, si grands critiques fussent-ils, n’épargnèrent pas certains artistes.

Symbolisme des couleurs pour Suzanne Valadon, 1909 est une année clé. C’est un changement essentiel qui se manifeste dans son oeuvre. Longtemps vouée au dessin, à la gravure en noir et blanc, elle franchit le pas de la couleur, de l’huile ; commence alors une grande période colorée. Et l’un des premiers tableaux qui inaugurent cette nouvelle manière a pour titre Les Deux Baigneuses ni noir ni blanc, référence sans doute à Renoir qui lui répétait lorsqu’elle était modèle que « ni le blanc, ni le noir n’existaient en peinture ».

Il y a une symétrie entre Suzanne Valadon et Maurice Utrillo. La symétrie qu’est l’ignorance du père, l’asymétrie qu’est la différence de sexe : Suzanne Valadon, fille mère, née elle aussi sans père connu. Elle démystifie la figure du mâle en choisissant résolument de peindre les femmes telles qu’elles sont, c’est-à-dire sans emprunter l’optique « masculine » (qu’elle connut bien en tant que modèle, elle qui fréquenta Degas, Puvis de Chavannes, Toulouse-Lautrec). Consommant les hommes (Suzanne Valadon est une nymphomane pour certains), elle démontre là encore sa modernité, sa perception de l’« insuffisance masculine », en confiant le rôle essentiel à la mère : le maternage, le portage de l’enfant. De cette lacune, elle paiera le prix fort, comme son fils. Maurice, fils sans père et finalement sans mère, va donc errer au coeur de ces absences, ni loi du père ni sein nourricier de la mère pour accueillir et guider chaleureusement son enfance. D’où l’âpreté du rapport fils-mère, noué dans une alternance sadomasochiste : « Je te fais souffrir par mes incartades, je me fais souffrir en me dissolvant dans l’alcool et la mort (tentatives de suicide) » ; basculant entre l’envie de meurtre (de sa mère lorsqu’elle l’empêchait de s’enivrer) et la sanctification : « Ma mère cette sainte ! »

Pour beaucoup, Utrillo ne pouvait être peintre, et au mieux malgré lui. De même que Suzanne Valadon, et ce, pour d’autres raisons. Il est vrai que ni l’un ni l’autre n’étaient intellectuels, défaut rédhibitoire pour certains, car on ne trouve pas chez eux de théorisation de leur pratique picturale.

Les expositions se succèdent, alors que l’artiste est à l’hôpital Sainte-Anne ; Berthe Veil organise en juin 1920 une exposition des oeuvres de Maurice Utrillo qui s’y montre sensible. Il lui adresse la lettre suivante : « Je suis content que vous ayez eu du succès à mon exposition. Je regrette vivement de n’avoir pu la visiter car il y avait des toiles de ma mère et c’est toujours pour moi un immense plaisir de voir ou de revoir les admirables oeuvres qu’elle peint avec tant de génie, car c’est une artiste de tout premier ordre et qui peint merveilleusement bien. »

Jean Fabris
biographe de Maurice Utrillo et de Suzanne Valadon

Source: Commemorations Collection 2015

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