Page d'histoire : Fondation du Journal des savants Janvier 1665

Jean-Paul Bignon, abbé de Saint-Quentin, bibliothécaire du roi, huile sur toile,
d’après Hyacinthe Rigaud, Paris, palais de l’Institut.
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Trois cent cinquantenaire toujours florissant, le Journal des savants est la plus ancienne revue savante au monde : sa fondation à Paris en janvier 1665 et sa publication quasi continue jusqu’à nos jours lui assurant cette priorité sur les Philosophical Transactions. À l’origine entreprise privée d’un magistrat, le Journal s’appuyait sur les réseaux construits par les lettrés et les savants parisiens à travers les circulations de la République des lettres. Les livraisons hebdomadaires, in-quarto, de douze pages, de la revue consacrée aux sciences (au sens du XVIIe siècle, à l’exclusion de la théologie) contenaient principalement des extraits de livres (analyses dépourvues de critique) et des mémoires savants (spécialement d’histoire, d’astronomie, de physique…) qui se nourrissaient des informations reçues de toute l’Europe et se faisaient aussi l’écho des réunions académiques de la capitale. Dans les années 1680, sous le troisième rédacteur, cette formule s’enrichit d’une rubrique autonome de nouvelles – de l’édition, des instruments – comme de tables annuelles récapitulatives, ainsi qu’analytiques, qui transformèrent la revue en un instrument de référence.

Conduit à partir de 1701 par le directeur de la Librairie qui constitua un bureau de rédacteurs pensionnés par la monarchie et adopta une publication mensuelle, le Journal des savants devint au fil du siècle un outil central de la validation des travaux scientifiques et de leur échange, face à la tutelle croissante des académies et parfois contre elles. En témoignent la multiplication des « journaux savants » en Europe qui reconnaissent le modèle de la revue parisienne, les achats systématiques (et parfois rétrospectifs) de ces journaux par les bibliothèques publiques ou universitaires, les stratégies d’approche des savants désireux d’obtenir la publication de leurs travaux. La reprise en 1816 du Journal, que la suppression des corps privilégiés avait interrompu en 1792, prouve aussi le rôle éminent qu’il jouait dans le système scientifique européen. Depuis lors dirigée par l’Institut de France et rédigée sous le contrôle de toutes les académies, la revue reprit sa formule traditionnelle : publication mensuelle, prédominance des extraits sur les mémoires, copieuse rubrique de nouvelles.

Cette « critique de vieille roche » (Balzac) correspondait à la prépondérance des académies dans les sciences, en France, jusqu’au dernier tiers du XIXe siècle, moment où, sous l’impulsion du Second Empire, puis de la Troisième République, l’université renouvelée sur le modèle allemand se saisit de l’impulsion scientifique et multiplia les revues spécialisées. Passé en 1908 sous la tutelle de la seule Académie des inscriptions et belles-lettres, le Journal connut dans les années 1930 un certain déclin, dont témoigne l’adoption d’un rythme bimestriel, puis semestriel. Toutefois, après 1945, les rédacteurs successifs parvinrent à relancer cette revue, en centrant plus sa visée sur l’Antiquité et le Moyen Âge, et surtout en y publiant uniquement des articles de chercheurs à partir des années 1990.

Le Journal des savants continue aujourd’hui de jouer le rôle qui fut le sien dès le XVIIIe siècle dans la communauté savante ; il répond même au défi que représente l'Internet en participant à sa mise en ligne, peu rémunératrice, ce qui menacerait la version imprimée. Toutefois, le développement d’une association hypertexte du papier et de l’Internet grâce à un dérivé des flash-codes pourrait ouvrir à la revue un nouveau centenaire tout aussi florissant.

Jean-Pierre Vittu
professeur d’histoire moderne
université d’Orléans

Source: Commemorations Collection 2015

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