Page d'histoire : Le Corbusier La Chaux-de-Fonds (Suisse), 6 octobre 1887 - Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes), 27 août 1965

S’il est un nom qui résume presque jusqu’à la personnifier l’architecture moderne, c’est bien celui de Charles-Édouard Jeanneret, dit Le Corbusier. Cet immense artiste demeure l’incarnation de l’évolution la plus rapide et la plus profonde de l’histoire de l’architecture. Il a participé à une mutation fondamentale de l’écriture architecturale,  et a institué la prédominance de la fonction sur une forme désormais dénuée de tout élément décoratif.

Personnage complexe aux multiples talents, infatigable au travail, il est simultanément poète, peintre, théoricien et constructeur. Nul mieux que lui n’a, par son approche et son travail, produit une oeuvre concentrant l’exceptionnelle transformation des arts au siècle dernier. Cette notoriété lui confère la lourde charge d’incarner l’architecture moderne dans son acception la plus décriée comme la plus reconnue.

 

La rencontre d’un siècle
Le Corbusier a, durant toute sa vie, croisé et rencontré les artistes, personnalités et mouvements qui ont façonné le XXe siècle.

Ses débuts dans l’horlogerie familiale le poussent vers les arts décoratifs. Au cours de ses premiers voyages, il rencontre Joseph Hoffmann dans une Vienne ivre de nouveauté et de création. En 1908, il fait la connaissance de Tony Garnier à Lyon avant d’apprendre à Paris les fondamentaux de la technique du béton armé chez Auguste Perret. Ces premières expériences marqueront définitivement le jeune encore Jeanneret-Gris.

De son voyage à travers l’Europe, notamment l’Allemagne où il rencontre Peter Behrens et Walter Gropius, traversant les Balkans jusqu’aux Cyclades pour rentrer par l’Italie, il rapportera des séries d’études et de  intense et quelques réalisations, sa carrière professionnelle débutera réellement à l’issue de la Première Guerre mondiale.

De retour à Paris, il fonde avec Ozenfant, sous le pseudonyme de Le Corbusier, la revue Esprit nouveau, tournée vers l’architecture, dans laquelle il publiera notamment « Vers une architecture » et se signalera comme un remarquable polémiste aux slogans lapidaires. Il achève sa collaboration avec Perret, s’éloigne d’Ozenfant et du purisme vers 1925 pour se consacrer, dès 1912, avec l’appui de son cousin le jeune architecte et designer Pierre Jeanneret, à la construction de ses villas dont la nouveauté de la conception esthétique, technique et fonctionnelle rompt avec toute référence antérieure.

Après la poésie et le charme des villas blanches aux volumes épurés, Le Corbusier travaille à la conception de la ville du futur. Ses travaux théoriques sur l’urbanisme en 1925 et la publication du fameux « plan Voisin » provoqueront une polémique toujours d’actualité. Il s’installe au 35 de la rue de Sèvres et fonde en 1928 les CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). Cette période d’avant-guerre sera particulièrement riche en publications, congrès et voyages au cours desquels Le Corbusier atteindra une dimension internationale.

À l’occasion de ses conférences au Brésil, il rencontre Lucio Costa, lequel dessinera Brasilia et commandera à Oscar Niemeyer la réalisation de nombreux bâtiments publics.

En 1943, avec la publication de la charte d’Athènes, il jette les bases de l’urbanisme rationnel et le définit en synthétisant et théorisant l’ensemble de ses recherches antérieures. En 1947, l’occasion de mettre en oeuvre ses projets se concrétise et, à la demande du ministre de la Reconstruction François Billoux, il conçoit et construit son Unité d’habitation à Marseille, la Cité radieuse, inaugurée en 1952 par Claudius Petit. Cet immense parallélépipède hors sol abrite en les décomposant par fonction l’ensemble des activités nécessaires à la vie sociale. La présentation en grandeur réelle d’une cellule type de ses immeubles villas en 1925 à l’exposition des arts décoratifs avait déjà rencontré un succès considérable

La chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp, le couvent des Tourettes près de Lyon et l’église de Firmigny, inachevée de son vivant, expriment indéniablement une vie intérieure intense et un mysticisme en contradiction avec un agnosticisme affiché. Sa période la plus active et la plus prospère s’étale de 1945 à 1965, années au cours desquelles il réalisera des projets majeurs avec la ville nouvelle de Chandigarh dont il construira le palais de justice inauguré le 19 mars 1956 en présence du président Nehru, la maison des Ministères en 1958 et le palais de l’Assemblée en 1961. Préalablement, en 1949 les autorités colombiennes lui commandent l’urbanisation de Bogotá.

Après une vie foisonnante d’études, de dessins, de réalisations dans tous les domaines de l’art, de conférences, de voyages et de chantiers, il s’éteint à soixante-dix-sept ans. Ses obsèques officielles dans la cour du Louvre sont présidées par André Malraux.

 

Le poète et le théoricien
Avant d’être l’acteur majeur de la pensée avant-gardiste architecturale, Le Corbusier est un artiste universel marqué par sa rencontre avec Gustave Klimt et dont l’approche plasticienne est le moteur intime de l’ensemble de sa production.

Sa rigueur dans la conception le conduira au paradoxe de l’élaboration d’un discours autoritaire et d’une production souvent esthétisante. La publication en 1950 de son système de proportion, le modulor, résume à elle seule la dualité rationnelle et poétique d’une personnalité complexe. Si ses théories d’urbanisme ignorent la ville traditionnelle séculaire en lui préférant une approche moraliste mue par sa conception de l’homme nouveau, il reste un acteur emblématique du bouleversement du cadre de vie.

Malgré des théories et une vision de la ville délaissées par nos contemporains, ses recherches restent les plus fécondes de son siècle. Son travail et son influence ont profondément et durablement changé le regard du public sur l’architecture, suscitant l’admiration pour l’harmonie de ses bâtiments et la créativité de l’ensemble de son oeuvre.

 

Antoine Daudré-Vignier
architecte D.P.L.G.

 

 

 

Voir Célébrations nationales 1987, p. 49 et 2009

 

Source: Commemorations Collection 2015

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