Page d'histoire : Charles de Foucauld Strasbourg (Bas-Rhin), 15 septembre 1858 - Tamanrasset (Algérie), 1er décembre 1916

Portrait du père Charles de Foucauld,
photographie non signée, s. d., Paris, musée de l’Armée.
© Photo Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN – Grand Palais / Pascal Segrette

Plus d’un siècle après son assassinat à Tamanrasset, en plein Sahara, en 1916, la destinée du père de Foucauld continue de fasciner. Sa mort, violente, mit un terme à une vie commencée dans la recherche du plaisir et poursuivie dans celle de l’ascèse : trajectoire des extrêmes.

Le début de sa vie est marqué par la mort. Né le 15 septembre 1858, après la mort d’un frère dans les premiers mois de son existence, lui aussi prénommé Charles, il perd sa mère Élisabeth de Morlet en 1864 ; la même année son père meurt, atteint de maladie mentale. L’enfant n’a pas six ans. Il est recueilli par le colonel de Morlet, son grand-père. Après une scolarité assez médiocre, il se présente à Saint-Cyr et réussit de justesse le concours. On lui confectionne un uniforme sur mesure : il est gros, mou, bedonnant. L’image du noceur pointe à l’horizon. Son grand-père meurt ; à vingt ans le voilà en possession de son immense fortune. Il sort bientôt de Saint-Cyr, entre dans la cavalerie à Saumur. Les frasques reprennent de plus belle. Fêtes, femmes et soupers fins, l’argent coule à flots. Mais la débauche l’ennuie. Il va troquer le vide de ses journées pour l’engagement au service d’une cause. On lui rend son commandement, il part dans le Sud oranais, fait face au danger, se montre un vrai chef. Au Maroc, il découvre son attirance pour un paysage, un peuple, une langue, une religion : l’islam, qu’il admire. Le 10 mars 1882, il démissionne de l’armée (qui lui refuse un congé) pour s’adonner pleinement à son goût de l’aventure. Il se fait explorateur, se déguise en rabbin et, à marche forcée, repère plus de deux mille kilomètres d’itinéraires nouveaux. Reconnaissance au Maroc est publié en 1888. Il a fait progresser d’un bond les travaux de ses devanciers, il est célèbre en son domaine. Pourtant ce mode de vie – action, exploration, découverte – lui paraît sinon dérisoire, du moins insuffisant en regard de l’absolu qui l’habite. Sous l’influence de sa cousine très pieuse et très aimée, Marie de Bondy, et de son confesseur, l’abbé Huvelin, Foucauld est converti. « Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de vivre pour lui. » En 1890, il entre à la Trappe de Notre-Dame-des-Neiges, en Ardèche. Malgré la dureté de la vie, de Dieu il ne se sent pas assez proche, ce n’est jamais assez, pas comme il le voudrait. Il envisage déjà de sortir de l’ordre – cet « ordre » qui restreint l’immensité de son désir – et de réaliser une fondation nouvelle. Six mois après son entrée à la Trappe, il repart vers Akbès, un petit prieuré très pauvre en Syrie. Après Nazareth, ses voix intérieures le pousseront toujours plus loin dans le désert, à Beni-Abbès (1901), à Tamanrasset (1905), puis à l’Asekrem où il aura l’étendue du ciel et de la terre pour son dialogue avec Dieu.

Le 15 juin 1896, reconnaissant « le mouvement à l’infini qui ne le laisse jamais fixé », l’abbé Huvelin lui accorde enfin la permission tant attendue. L’amour libéré va vivre hors des murs étroits du monastère. Foucauld reprend l’ébauche de la règle qu’il a entre-temps mûrie. En 1901 il est ordonné prêtre. En 1902, il reçoit l’autorisation de fonder une famille religieuse sous le nom de Petits Frères du Sacré-Coeur de Jésus (et non plus les Ermites comme il l’avait d’abord pensé). L’Église, effrayée par la soif de mortification dont témoigne sa règle, par son manque de prudence et de « discrétion », lui enverra pourtant en 1906 le compagnon dont il rêvait – qui sera vite écarté. Unique tentative.

Le Sahara était alors en pleine conquête. Foucauld, mort au monde, a resurgi dans le désert, visible comme un phare, guidant les uns et les autres, les officiers français comme les chefs touaregs amis. Laperrine, Lyautey le consultent et l’écoutent. L’infl uence de Foucauld est grande. C’est alors qu’il entreprend avec Laperrine ses « tournées d’apprivoisement » : Foucauld, rendu à la vocation d’explorateur, consigne des renseignements de tous ordres, imagine une vaste réforme administrative, se met à la langue touareg – c’est le début d’une interminable entreprise, quatre tomes d’un dictionnaire à laquelle la mort seule mit un terme. Nul doute que lui, qui rêvait d’une humanité unie en Dieu, crut en la colonisation – conquête dont le but ultime est la conversion des infidèles – s’il réprouva fortement l’état d’esprit et la rapacité qu’il constatait.

Ermite, ou missionnaire ? S’anéantir en Dieu, ou sauver les âmes ? Des « Ermites » aux « Petits Frères », le changement est révélateur. La multiplicité de ses dons et de ses tâches fut-elle absorbée dans l’unicité de la contemplation ?

Il mourut seul et obscur, assassiné pour quelques fusils par les Senoussis, pas même en martyr (le doute persiste à ce sujet) comme il l’avait voulu. Sa mort, en pleine guerre, passa inaperçue.

Foucauld considérait sa vie comme un échec. Sur le plan de la religion, elle est une réussite exemplaire. Après sa mort, l’ordre qu’il ne put fonder prit une ampleur remarquable. Foucauld est notre contemporain, parce qu’il voulut revenir, par-delà la lourdeur des institutions, à l’imitation du Christ il y a deux mille ans. Jugée trop radicale de son vivant, sa pensée se trouve correspondre aux besoins actuels.

 

Christine Jordis
écrivain

Source: Commemorations Collection 2016

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