Page d'histoire : François Mitterrand Jarnac (Charente), 26 octobre 1916 - Paris, 8 janvier 1996

François Mitterrand est né en 1916, un jeudi 26 octobre, à Jarnac. Cinquième enfant, mais deuxième fils, derrière un brillant aîné, suivi de près de deux frères et d’une soeur, une mère pudique, et un père taiseux : nous sommes chez Balzac.

Il mit du temps à devenir « François Mitterrand », plus encore à devenir mon père. Mais c’est que déjà il avait le sens du temps long, un sens enraciné dans l’enfance à Touven, chez les grands-parents, où il passa une grande partie de son enfance « lumineuse », avant la spartiate pension d’Angoulême. C’est là qu’il se forge.

Avant l’âge de dix ans, il est envoyé dans cette ville, loin des siens, pour étudier au collège Saint-Paul où l’éducation catholique, relayant celle de sa mère, imprégnera longtemps son mode de penser. Un catholicisme humaniste, mais résolument de droite. Ainsi en va-t-il de la tradition familiale, vinaigriers pour les uns, cheminots pour les autres, une bourgeoisie de province enracinée en un autre siècle, vivant au rythme des saisons, mais des saisons qui s’accélèrent, puisque la grand-mère aimée meurt en 1929, qu’en 1934 il quitte Angoulême pour Paris et qu’en 1936 c’est sa mère chérie qui s’éteint, non sans avoir parlé seule à seul avec chacun de ses enfants. Que dit-elle à François ? Nul ne le sait, mais un pacte est scellé ; il a à peine vingt ans, et déjà les deux grandes figures féminines de l’enfance ont disparu.

La conquête de Paris commence. D’abord les diplômes, la faculté de droit et Sciences-Po, sans négliger les promenades sur les quais, les sorties au théâtre, café, dancings et, le week-end, les bonnes oeuvres.

Le désir du politique s’éveille, les convictions se cherchent. Il adhère aux Volontaires nationaux, la branche « jeunesse » des Croix-de-Feu du colonel de La Rocque, mouvement de droite contestataire, mais à l’écart des ligues fascistes ou de l’Action française condamnées par l’Église. Sans doute son désir politique est-il mâtiné d’un romantisme abreuvé à une culture déjà foisonnante : la littérature l’emporte encore sur tout engagement. Car à Paris il côtoie Mauriac, ami de la famille, Claude Roy, mais aussi des auteurs de gauche, et de fil en aiguille se retrouve à quelques meetings du Front populaire où il fait la connaissance de celui qui restera son plus fidèle ami, Georges Dayan, étudiant socialiste et juif, que je n’ai pas connu. Le seul à avoir pu jusqu’au bout lui tenir tête, mort trop tôt, comme certains autres qui l’ont accompagné dans la traversée du désert, pour assister à sa victoire en 1981… Mais la jeunesse est courte. C’est la guerre.

Une fois blessé au front, trois fois prisonnier (850 jours dans un stalag), trois fois évadé, détour par l’administration de Vichy (350 jours) puis la Résistance (580 jours), mille sept cents jours de vingt-trois à vingt-neuf ans – de quoi bouleverser une vie et une vision du monde, et de fait c’est un homme transformé qui sortira, exsangue mais victorieux y compris de lui-même, dans cet après-guerre dominé par son grand rival, le général de Gaulle. Lequel le nomme néanmoins « ministre intérim » à l’été 1944. Il a vingt-huit ans et épouse Danièle Gouze.

Un an plus tard, son premier fils, Pascal, meurt à trois mois, suivi de son père, Joseph, au printemps 1946. La même année, il devient député de la Nièvre. Il a trente ans.

Onze fois ministre, de 1947 à 1957, c’est la question coloniale qui l’occupe, celle dans laquelle la IVe République s’enlise, et qui mène au pouvoir en 1958 le général de Gaulle. Ce que conteste vigoureusement François Mitterrand, scellant ainsi un long cheminement au sein de l’opposition, dans une constitution dont il saura pourtant tirer profit. Dans ces années, il se rapproche des socialistes et s’impose jusqu’à devenir candidat de toute la gauche aux élections de 1965, où il met en ballotage le Général. Mis sur la touche par Mai 68, absent de la présidentielle de 1969, il rebondit en 1974 en se présentant contre Giscard qui le bat de peu. Je nais cette année-là. Il a cinquante-huit ans. Pour ce plus jeune ministre de la République, le temps s’est fait long à le voir revenir au-devant d’une scène politique qu’il ne quittera plus.

En 1971, il conquiert le Parti socialiste, le modernise, lui donne une stratégie – l’union de la gauche. Pari gagné, puisqu’il en fait le premier parti de gauche, devançant le Parti communiste. C’est ainsi que la gauche reviendra au pouvoir, après vingt-trois ans d’absence : mai 1981, et la place de la Bastille chante Le Temps des cerises sous la pluie.

Malgré le retour de la droite au pouvoir en 1986 et la cohabitation, il est facilement réélu en 1988. Durant son second septennat, il doit surtout gérer les soubresauts de la fin de la Guerre froide. C’est là qu’il affirme son grand dessein : la construction de l’Europe avec, notamment, le traité de Maastricht. Il fait ses adieux en 1995, alors gravement malade : « je ne vous quitterai pas ». Et c’est vrai. Malgré la mort, le 8 février 1996. Malgré le deuil, d’un pays, de deux familles, réunis pour un dernier hommage.

Mazarine Pingeot

Source: Commemorations Collection 2016

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