Page d'histoire : Léo Ferré Monte-Carlo (Monaco), 24 août 1916 - Castellina in Chianti (Italie), 14 juillet 1993

Il a eu le génie de mettre dans l’oreille du public la musique des grands poètes : Apollinaire, Baudelaire, Rimbaud, Rutebeuf. Avec lui la poésie est devenue plus magique.

Il a chanté l’amour dans tous ses états : le désir, la jalousie, l’interdit, la transgression, la plénitude, l’érosion, la violence. Il a aidé des milliers d’adolescents à sortir de leur prostration et les bourgeois de leur engoncement en faisant « bouger les lignes », en gommant les frontières.

Il a aussi osé critiquer sur scène la guerre d’Algérie, exalter les émeutes de mai 1968, porter aux nues le socialisme d’Allende et pourfendre Pompidou pour son refus de gracier Bontems et Buffet quelques années avant que Mitterrand ne supprime la peine de mort.

Râleur grincheux voire grinçant, il avait l’art de déplaire tendrement et d’avoir des ennemis. La vague surréaliste l’a adoré. D’Aragon à Prévert et de Queneau à Étiemble, ils ont admis les fêlures et les ambiguïtés de cette icône qui gueulait dans ses spectacles : « Je provoque à l’amour et à la révolution. »

Léo Ferré était tout sauf consensuel. Quand on entend souffler dans nos bronches cette voix rauque qui invective, nous exhorte à la révolte, nous communique son enthousiasme, nous sommes contraints de nous regarder en face.

Il est souvent apparu comme un vieux fou échevelé qui chantait en noir et blanc des textes incompréhensibles. Mais C’est extra a fait vibrer l’adolescence des teenagers de 1969, la fameuse année érotique gainsbourienne. Aujourd’hui encore, une poignée de fanatiques persistent à dire qu’il est « le plus grand » : poète, penseur, philosophe, chanteur. Il est d’ailleurs toujours cité comme le troisième homme d’un triumvirat indissociable formé avec Brel et Brassens, les fameux « trois » sur la photo ou le poster qui décore nos bistrots et nos salles à manger. Tout le monde fredonne encore Jolie môme, Avec le temps, Pauvre Rutebeuf, Paris-Canaille, L’Affiche rouge ou Les Anarchistes.

Léo Ferré demeure la référence du chanteur rebelle, qui s’insurge contre le marketing du show-business et revendique sa liberté à tout prix.

Il a joué avec un groupe de rock, Zoo, dans les années 1970, s’est inspiré des accents de rap, dans Chien notamment, mais sa musique s’est réellement déployée avec les orchestres symphoniques qu’il a dirigés autour de Baudelaire, Apollinaire et Rimbaud.

C’est à Monaco – pas facile pour un futur anarchiste – qu’il est né le 24 août 1916 d’une mère italienne, Marie, et d’un père, Joseph, qui travaillait au… casino comme directeur du personnel de la Société des bains de mer, le propriétaire dudit casino.

À sept ans, devenu soprano, il a découvert l’harmonie et le solfège dans la chorale de la maîtrise de la cathédrale de Monaco. Musicien avant tout, il est devenu, comme il le dit lui-même, « accessoirement poète ».

Bernard Lonjon
écrivain

Source: Commemorations Collection 2016

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