Page d'histoire : Ambroise Vollard Saint-Denis (La Réunion), 3 juillet 1866 - Versailles (Yvelines), 21 juillet 1939

Ambroise Vollard,
photographié par Rogi André
(Rosa Klein, dite), 1936,
Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle.
© Centre Pompidou,
MNAM-CCI, Dist. RMN – Grand Palais / Philippe Migeat

Ambroise Vollard, « le marchand qui gagna sa fortune en dormant », contribua largement à construire sa légende, derrière laquelle se cache à l’orée du XXe siècle, le premier grand marchand d’art moderne.

Ambroise Vollard semblait destiné, sous la pression de son père, notaire, à une carrière juridique, quand, se mettant à « chiner » – chez les brocanteurs, aux marchés aux puces, chez les bouquinistes des quais de la Seine –, il se découvrit dès 1889 une autre vocation. Tout en se livrant au travail de simple courtier, il entame son propre commerce dans sa modeste mansarde de la rue des Appenins, pour gagner en septembre 1893 l’indispensable et incontournable rue Laffitte, à l’ombre de l’hôtel Drouot.

La réussite est loin d’être là, mais profitant et du désengagement de l’État du Salon depuis 1882 et du krach boursier de l’Union générale cette année-là, qui mit à bas pour une quinzaine d’années le principal marchand, Paul Durand-Ruel, Ambroise Vollard constitue patiemment ce qui va être son écurie, avec Gauguin, Van Gogh, Cézanne, à ce moment jugés sinon maudits, à tout le moins invendables. Misant dans le même temps sur la gravure, de commerce plus aisé, il s’attache dès 1895 le groupe des nabis, à savoir Maurice Denis, Pierre Bonnard, Édouard Vuillard et Ker-Xavier Roussel. Puis entreront Picasso, Matisse, Van Dongen, Vlaminck, Rouault, et, par liens d’amitié, Renoir et Degas, ses choix esthétiques s’arrêtant à la veille de la Grande Guerre, avec les nouveaux « -ismes ».

Sa recette ? De son flair, certains sauf Pissarro crurent devoir douter. Le potentiel docteur en droit fut, tout bonnement, le premier marchand à établir des contrats en règle avec les artistes, leur garantissant l’achat régulier de leur atelier. Pour le reste, comme il l’écrira dans son testament rédigé en 1911, il n’y a qu’à compter avec le temps.

Au lendemain de la guerre, tout en restant inscrit comme marchand, Ambroise Vollard, replié dans sa belle demeure du VIIe arrondissement, se déclare simplement collectionneur – et sera comme tel prioritairement reconnu aux États-Unis dans les années 1930 – pour se livrer à ce qui n’a de fait cessé d’être sa véritable passion : l’édition de livres d’artistes. Et là aussi, boule versant tous les codes de la bibliophilie traditionnelle. Du fameux Parallèlement de Verlaine, illustré par Pierre Bonnard, publié en 1900, à la Bible illustrée par Marc Chagall, achevée en 1939, ce ne sont pas moins de quarante ouvrages qui sortiront à l’enseigne des éditions Ambroise Vollard, pour lesquels il s’est attaché la collaboration, outre des peintres déjà cités, d’Odilon Redon, Émile Bernard, Jean Puy, Aristide Maillol, Pierre Laprade, Raoul Dufy, André Derain, Dunoyer de Segonzac, jusqu’à Georges Braque.

Manquait-il une corde à son arc ? Ambroise Vollard ne résistera pas à manier lui-même la plume, livrant de précieux entretiens, réalisés avec Cézanne, avec Renoir, poursuivant la geste ubuesque tant pour dénoncer la guerre que la politique coloniale de la France, se faisant enfin le premier marchand de tableaux à accepter de livrer ses mémoires, sinon ses secrets.

Comme nous le révèle son active secrétaire Marie Dormoy, il s’apprêtait à faire un musée de sa collection quand un accident de la route, le 21 juillet 1939, vint mettre un terme à tous ses projets. Faute d’héritier éclairé, l’oeuvre qu’il avait constituée se perd dans une cascade d’imbroglios juridiques qui, soixante-quinze ans après, n’ont, pour leur majeure partie, toujours pas été dénoués.

Jean-Paul Morel
chercheur indépendant

Source: Commemorations Collection 2016

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