Page d'histoire : Exécution du chevalier de La Barre 1er juillet 1766

Le Chevalier de La Barre, statue en pied, oeuvre
du sculpteur Emmanuel Ball, érigée en 2001 à Montmartre,
Paris (XVIIIe arrondissement).
© Photo Archives de France –
M. de Chivré

A Abbeville, François Jean Lefèvre, chevalier de La Barre, descendant d’une famille de parlementaires, est décapité à l’âge de vingt et un ans et son corps est jeté au bûcher. Condamné pour trahison, comme Lally-Tollendal la même année à Paris ? Pour parricide, à l’instar de Valines un an plus tôt sur cette même place d’Abbeville ? Ou pour tentative de régicide, tel Damiens en 1757 place de Grève ? Non. Le chevalier de La Barre a été condamné à mort par les juges du présidial d’Abbeville pour ne pas avoir ôté son chapeau ni s’être agenouillé au passage d’une procession, pour avoir chanté des chansons de corps de garde et pour détenir le Dictionnaire philosophique de Voltaire.

Cette condamnation pour impiétés et blasphème – la dernière prononcée en France – est d’une sévérité extrême. Comment donc, au siècle des Lumières et alors que l’Église elle-même, inquiète des conséquences d’un tel jugement, avait sollicité la clémence royale, une si « effroyable aventure » (Grimm) a-t-elle pu se produire ?

Interrogation légitime, d’autant plus que l’affaire naît de la simple dégradation, dont on ne connaîtra jamais l’auteur, d’un crucifix sur le pont Neuf d’Abbeville. De l’émotion populaire suscitée par cet incident mineur, qui aurait pu se dissiper en quelques jours, naît l’« odieuse affaire » d’Abbeville, favorisée par les effets conjugués du contexte politique général, de la dramatisation de l’acte sacrilège par l’évêque d’Amiens, de rivalités locales et parisiennes et du zèle de l’assesseur du lieutenant criminel de la ville, Duval de Soicourt, roturier à l’ambition contrariée.

Celui-ci, sans preuves mais avec ténacité, mêlant faits avérés et supposés, fit gonfler l’affaire, et y impliqua la petite bande turbulente des jeunes nobles à laquelle La Barre appartenait. La saisie du Dictionnaire philosophique de Voltaire au domicile du chevalier – au demeurant peu instruit – transforma des irrévérences de jeunesse en une affaire politique, et réduisit à l’impuissance les soutiens de La Barre, qui échouèrent à le sauver dans une période de raidissement du parlement de Paris et du roi face aux progrès des « idées nouvelles ».

En ordonnant que son Dictionnaire fût jeté au bûcher avec le corps du supplicié, le jugement visait aussi Voltaire. Conforté par le Mémoire en défense de l’avocat Linguet, qui révélait les ressorts de l’affaire et les vices de procédure, il alerta l’Europe entière par ses correspondances et sa Relation de la mort du chevalier de La Barre.

Contrairement à Calas, réhabilité trois ans après son exécution, La Barre, présenté comme un déicide, ne le sera qu’en 1793, après la chute de la monarchie de droit divin et la disparition du crime d’hérésie. Considéré comme une victime de l’obscurantisme et de l’arbitraire, le chevalier de La Barre deviendra un siècle plus tard un symbole de la lutte pour la laïcité.

Bruno Ricard
conservateur général du patrimoine

Source: Commemorations Collection 2016

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