Page d'histoire : Anne d'Autriche Valladolid (Espagne), 22 septembre 1601 - Paris, 20 janvier 1666

Portrait équestre d’Anne d’Autriche,
suivie d’un page tenant un parasol fermé, sur fond de tirs d’artillerie,
huile sur bois attribuée à Jean de Saint-Igny, vers 1640-1647,
Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.
© Photo RMN – Grand Palais (château de Versailles) / Gérard Blot

En ce début de janvier 1666, au Louvre, couchée dans son lit à baldaquin tendu de velours à ramages bleus, Anne d’Autriche se meurt. Elle a soixante-quatre ans. Cela fait treize mois qu’elle souffre atrocement d’un cancer au sein gauche. Dans la ruelle, les médecins et les chirurgiens lui changent régulièrement ses pansements, tandis que derrière le balustre d’argent les courtisans défilent en inclinant discrètement la tête. C’est le destin des reines d’enfanter et de s’éteindre en public. Ses deux fils, Louis XIV et Philippe, duc d’Orléans, la veillent, même la nuit. En novembre, on l’a ramenée du Val-de-Grâce en chaise à porteurs, après avoir badigeonné d’eau de chaux sa plaie gangrenée, que la profession médicale – Vallot, premier médecin du roi, en tête – a déclarée incurable. On avait tout essayé : les saignées, les purges, les décoctions de rhubarbe et de séné, un remède à base de belladone et de lime brûlée, proposé par un empirique, un autre à base d’arsenic… En vain.

La puanteur règne à ce point dans la chambre que la malheureuse se protège le visage d’un éventail parfumé et que les femmes de chambre respirent de petits sachets de senteurs. Chaque jour, elle se confesse, se repent de ses péchés, de sa frivolité passée, de sa coquetterie ; après quoi les archiatres tentent de l’endormir avec du jus de pavot. « Je n’en puis plus », lui arrive-t-il de soupirer. Dans la longue attente résignée des jours qui passent, comment ne se remémorerait-elle pas sa vie ?

Sa première jeunesse à la cour de Madrid, en tant que fille aînée de Philippe III et de Marguerite d’Autriche, son mariage avec Louis XIII, âgé comme elle de quatorze ans, son arrivée sur les rives de la Bidassoa, ses craintes, ses attentes. D’infante espagnole, la voici reine de France. Hélas, c’est la désillusion. L’union n’est consommée que quatre ans plus tard. Son mari, timide, complexé, mélancolique et solitaire, la dédaigne, lui préférant la chasse et la guerre. Elle est pourtant jolie, fine, aimable, enjouée, mais, dans le fond, elle se sent étrangère à la cour et rêve de son pays natal. Surtout, elle doit supporter l’accusation de stérilité. En mars 1622, une fausse couche, provoquée par une course et une chute maladroite, en compagnie de sa chère amie la duchesse de Chevreuse, est cause de l’ire royale.

Après l’affaire Buckingham – la folle audace de ce bellâtre, ambassadeur anglais, qui s’est montré un peu trop entreprenant dans un jardin d’Amiens, avec la complicité de son mauvais génie, Mme de Chevreuse –, elle est surveillée, délaissée, humiliée.

Elle mène alors des intrigues désordonnées. Se lançant dans des conspirations contre Richelieu, elle est soupçonnée d’intelligence avec l’ennemi au lendemain de l’entrée en guerre de la France contre l’Espagne en 1635. Lors du « complot du Val-de-Grâce » – qui a conduit à la découverte de ses correspondances secrètes avec ses deux frères, Philippe IV et le cardinal-infant, gouverneur des Pays-Bas espagnols –, elle est menacée de répudiation. Les naissances tardives de Louis, dit Dieudonné, en 1638, et de Philippe d’Anjou, futur duc d’Orléans, en 1640, assurent la succession française et affermissent enfi n sa position.

Veuve en mai 1643, elle exerce la régence. C’est alors que, par amour maternel, oubliant son indolence naturelle, elle fait preuve d’énergie et de perspicacité, apportant son soutien indéfectible au successeur de Richelieu, le cardinal Mazarin, qui s’oppose au Parlement, à l’aristocratie frondeuse et aux ennemis de l’extérieur, Espagne comprise. L’attachement enflammé, quoique platonique, qu’elle éprouve pour ce bel Italien – il n’y eut jamais entre eux de mariage secret –, renforce l’unité du pouvoir. À la paix des Pyrénées, en 1659, elle est en mesure de remettre à son fils, majeur depuis huit ans, le plus puissant royaume d’Europe. Le mariage de Louis XIV avec sa nièce, l’infante Marie-Thérèse, la comble de bonheur.

Le 19 janvier 1666, sentant que la fin est proche, elle se fait administrer l’extrême-onction. Vers minuit, l’agonie commence. Le lendemain matin, vers cinq heures, cette femme de grande piété, qui avait soutenu avec constance l’action charitable de M. Vincent, pousse son dernier soupir en embrassant un crucifix.

À la gouvernante de son fils, Mme de Montausier, Louis fait cette remarque : « Elle n’était pas seulement une grande reine, elle mérite d’être mise au rang de nos plus grands rois ! » N’est-ce pas la plus belle oraison funèbre ? Revêtu de la robe des tertiaires de Saint-François, le corps d’Anne est conduit à Saint-Denis et son coeur, transporté là où il avait longtemps battu, en son cher Val-de-Grâce.

Jean-Christian Petitfils
historien et écrivain

Source: Commemorations Collection 2016

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