Page d'histoire : Nostradamus Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône), 14 décembre 1503 - Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), 2 juillet 1566

Portrait de Michel de Nostredame, dit Nostradamus,
peint par son fi ls César, huile sur plaque de cuivre, 1614,
Aix-en-Provence, bibliothèque Méjanes.
© Bibliothèque Méjanes (Aix-en-Provence)

Michel de Nostredame appartient à une famille de néophytes provençaux. Après des études à Avignon, il prend en 1532, à l’université de Montpellier, le grade de docteur en médecine. À la suite d’un séjour toulousain, il pratique la médecine à Pont-Sainte-Marie, près d’Agen, à Bordeaux, Narbonne, Carcassonne. Il soigne les malades de la peste en 1544 à Marseille, en 1546 à Aix, puis à Lyon, avant de voyager en Italie. Humaniste influencé par le néoplatonisme, il donne une traduction de l’Orus Apollon. En 1550, installé à Salon-de-Provence, il publie sa première Pronostication, un calendrier de prédictions pour 1551. Paraîtra ainsi chaque année une pronostication ou un almanach s’appliquant à l’année suivante. Les planètes sont censées exercer une influence, bénéfique ou maléfique, sur les différents organes du corps, et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un médecin soit un astrologue. Après avoir composé en 1552 un traité portant sur la préparation des confitures et la composition des fards, il donne en 1555 à Lyon une première édition des Prophéties, qui comprend 353 quatrains énigmatiques répartis en quatre centuries (la dernière édition rassemblera 942 quatrains en dix centuries). Sa renommée l’aurait appelé en 1556 à la cour et connaît, à l’occasion du décès du roi Henri II le 10 juillet 1559, une extraordinaire amplification, la rumeur courant qu’il aurait prophétisé l’événement : « Le lyon ieune le vieux surmontera, / En champ bellique par singulier duelle, / Dans cage d’or les yeux luy creuera, / Deux classes une, puis mourir, mort cruelle. » Après qu’en 1558 des livrets de facture sans doute calviniste l’eurent traité de « Monstradamus » ou de « monstre d’abus », en mai 1560 il est menacé physiquement à Salon-de-Provence au cours d’une émeute catholique. En novembre 1564, Charles IX et sa mère Catherine de Médicis viennent le consulter à Salon-de-Provence. C’est après avoir demandé à être enterré dans l’église du couvent de Saint-François qu’il décède le 2 juillet 1566.

Nostradamus est le visionnaire d’un futur d’angoisses qui ne doit connaître nul répit. Il est un prophète du « glaive de Dieu éternel » qui frappera les hommes par la peste, la guerre et la famine, par des « mutations de règnes »,par le « dard du ciel », l’apparition d’un étrange oiseau dont la venue s’accompagnera d’une terrible famine, si grande « que l’homme d’homme sera anthropophage ». Un mouvement perpétuel anime son écriture en évoquant les tremblements de terre, les tempêtes destructrices, les crues dévastatrices des fleuves, les maladies, les mers sanglantes, la mort, la ruine, la « terre sèche », les grands vents, la « loyauté rompue », le « cruel acte », la discorde. La futurologie de Nostradamus s’exprime dans une litanie de signes qui disent que la colère de Dieu plane sur l’humanité parce que les hommes transgressent les commandements divins : cruauté inouïe, férocité barbare, oppression de la liberté, maisons et cités brûlées, effusion du sang des femmes et des enfants, guerres civiles, persécutions.

Nostradamus énonce ainsi les données d’une anthropologie négative ; le mal est dans l’homme plus qu’il n’a jamais été : c’est le fils qui se dresse contre le père, le père qui fait massacrer son fils, le jeune neveu qui fait tuer son vieil oncle, la jeune reine qui est emprisonnée par son oncle. Fratricides, parricides, matricides, infanticides rythment le devenir. Les peuples se rebelleront contre les gouvernants, le tyran étranger ou barbare viendra abattre le prince pacifique : conjurations, massacres, trahisons, supplices, crimes épouvantables se succéderont, la scène de l’effroi étant encore occupée par l’infidèle violeur de vierges ou l’hérétique profanateur, par les corps des innocents jonchant le sol ; et l’on verra le sang des gens d’Église couler « comme de l’eau en si grande abondance ». Rien ne résistera à l’infinie prolifération du mal qui attend l’humanité : les lieux saints, les cimetières, les villes seront dévastés, et la paix sera toujours plus précaire. Les passions sont l’avenir de l’homme : luxure débridée, adultères et incestes, vengeances horribles, ingratitude démesurée, insatiable ambition, hypocrisie, cupidité, haine, tromperie.

Nostradamus racontait donc un monde humain devenant un enfer terrestre. Il mimait les avertissements effrayants des prophètes bibliques en annonçant les plus grandes calamités qui allaient affliger le peuple de Dieu. Il voulait faire comprendre à ses lecteurs qu’ils devaient se tenir à distance de ceux qui, emportés par leur prétention à détenir la vérité, étaient prêts à persécuter ou tuer leur prochain. Il recourait à la peur afin de signifier que la violence allait à l’encontre de la foi. À ses yeux, les exclusivismes religieux qui opposaient les catholiques et les protestants entraînaient la chrétienté dans une terrifiante et sanglante impasse. Il cherchait, en recourant à la puissance inquiétante de l’énigme, à montrer les dangers qui risquaient de faire oublier aux hommes le message d’amour du Christ.

Denis Crouzet
professeur d’histoire moderne à l’université Paris-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2016

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