Page d'histoire : Création de la fondation des Orphelins-Apprentis d'Auteuil 1866

Apprentis d’Auteuil est, avant l’heure, un exemple de ce que j’appelle de mes voeux : une société qui agit, qui bouge. Et l’abbé Roussel, un « zèbre », s’il en est. Un « faizeux ». Un créatif.

En 1866, cela fait déjà des années qu’il a dressé ce constat : personne ne s’émeut du sort des garçons abandonnés ou orphelins.

Le 19 mars, avec la permission de son évêque, il s’installe dans les faubourgs de Paris, à Auteuil. Ce ne sont que des terrains vagues. Il déniche une masure, y héberge les premiers gamins.

Au départ, il ne pense qu’à nourrir ces garçons qu’aucune institution n’accueille. À les loger, à leur donner des rudiments de catéchisme et d’instruction.

Puis il invente. Il fonde les premiers ateliers pour leur apprendre un métier : cordonnerie, menuiserie, serrurerie, fabrication d’objets religieux. C’est une conception de la charité radicalement novatrice. Il fédère les énergies autour de lui. Cherche vraiment à faire bouger la société, et le regard sévère qu’elle porte sur ses propres enfants.

En 1923 arrive à la tête de la fondation son deuxième grand « zèbre ». Le père Daniel Brottier. Un missionnaire. Un éducateur-né. Aumônier sur le front, il a survécu au coeur de la mitraille sans une égratignure. Appelé à la direction de la fondation pour redresser la barre, il pose un premier acte en faisant construire une chapelle à la petite Thérèse de Lisieux. Les sourcils se dressent : serait-il fou ?

Homme de foi autant que d’action, il s’attaque ensuite au reste, soulevant des montagnes. Il ne sait pas dire « non » aux enfants qui se pressent aux grilles du 40, rue La Fontaine, dans le très chic XVIe arrondissement de Paris. La photo, le cinéma sont en plein essor ? Il crée une salle de cinéma, propose Max Linder et Charlie Chaplin à ses pensionnaires et aux gens du quartier. Il utilise aussi tous les moyens à sa disposition pour se faire connaître et étendre son action : affichage, tractage, interpellation dans la presse, événements, défilé sur les Champs-Élysées !

L’oeuvre prend une dimension nationale. Elle obtient, en 1929, la reconnaissance d’utilité publique. Un grand succès dans le climat encore tendu entre l’État et les congrégations religieuses. L’oeuvre de l’abbé Roussel et du père Brottier a su traverser les époques. Aujourd’hui, rien n’a changé mais tout a évolué. Les besoins des jeunes et des familles sont toujours aigus. La jeunesse peine à se faire une place dans une société en pleine crise. La fondation, elle, accompagne 24 000 jeunes chaque année et leur remet le pied à l’étrier. Elle épaule 5000 familles désorientées par les nouveaux enjeux éducatifs. Apprentis d’Auteuil a étendu son action aux tout-petits, aux « décrocheurs », aux jeunes adultes, avec des dispositifs d’insertion…

Cent cinquante ans après, les lieux qui ont accueilli les premiers gamins de l’abbé Roussel abritent un lycée professionnel, un internat et le siège social de la fondation. Et la cour résonne toujours du joyeux chahut d’adolescents pleins de vie et d’énergie.

 

Alexandre Jardin
écrivain

Source: Commemorations Collection 2016

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