Page d'histoire : Attribution du grand prix de poésie de l’Académie française à Georges Brassens 1967

Il n’est pas sûr que l’obtention du grand prix de poésie de l’Académie française ait ravi Georges Brassens, lui qui insistait sur l’aspect artisanal de son métier, et ne se voyait pas poète mais « faiseur de chansons »*. Il est vrai que la chanson « rive gauche » tendait à privilégier le texte, poétique donc, en le plaquant sur quelques accords et une mélodie approximative. Mais chez Brassens ce mariage de mots, de mélodie et de rythme était beaucoup plus sophistiqué et avait souvent des effets de sens inattendus. Lorsque par exemple le temps fort des mesures découpait un alexandrin pour faire apparaître à la rime, dans une chanson consacrée au couple, le chiffre deux : « J’ai l’honneur de (deux) ne pas te de (deux-)mander ta main… » Ou encore lorsqu’une phrase comme « Ô très sainte Marie mère de Dieu » devenait sous l’effet des mêmes ingrédients « Ô très sainte Marie merde » (« Tempête dans un bénitier »)… Ce modeste « faiseur de chansons » maniait parfaitement le jeu des sons et des notes. Ajoutons qu’une analyse statistique du lexique de cet anar athée donne un résultat surprenant : le substantif le plus fréquent dans son œuvre est Dieu (il est vrai le plus souvent sous forme de jurons…). Et les adjectifs les plus fréquents, petit, beau, bon, pauvre, vieux…, donnent une image de son univers : encore la modestie.

* Thème de sa chanson, le « Petit joueur de flûteau », composée trois ans auparavant en réponse à ceux qui l’exhortaient à présenter sa candidature à l’Académie française.


Louis-Jean Calvet, linguiste et spécialiste de la chanson

Source: Commemorations Collection 2017

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