Page d'histoire : Création de L’Avare 9 septembre 1668

L’Avare de Molière au Théâtre de la Cité, avec Charles Dullin, 1944, photographie studio Harcourt, Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine.

Molière est inquiet. Les recettes de son théâtre parisien, fermé sept semaines en 1667, sont en berne, faute de représentations. Pourtant il est comédien du Roi-Soleil, fournisseur de ses plaisirs. Après s’être fait acclamer des années, comme il est souvent à Versailles, il ne s’appartient plus et Paris oublie vite. Racine, le grand rival, consacre Mlle Du Parc, sa maîtresse, dans Andromaque, en novembre. Non seulement celui ci lui a ravi sa comédienne, mais il triomphe dans le genre que Molière admire le plus, la tragédie. Quelle ironie !

Exténué, malade d’une fluxion de poitrine, trompé par sa femme, Molière se cache à Auteuil. Il panse ses plaies. Il écrit. Il présente Amphitryon, comédie en vers, en janvier 1668, et George Dandin en juillet. La cour est séduite. Mais à Paris le public boude.

Sa culture latine lui fournit alors un sujet de farce : l’Aulularia (la marmite) de Plaute, histoire d’un vieillard pauvre qui cache son trésor de peur d’être volé. Et, à La Belle Plaideuse , de Boisrobert, il emprunte des scènes entières pour sa nouvelle pièce. L’Avare est présenté le 9 septembre 1668 : une grande comédie de cinq actes en prose. Molière joue le bourgeois Harpagon qui craint d’être dépouillé et cache son or. Il veut se débar­rasser de ses enfants en les mariant contre leur volonté. Lui-même désire épouser la jeune fille aimée de son propre fils. Toute sa maison se ligue contre ce funeste projet en lui dérobant ses écus pour faire triompher l’amour et le bon droit. Harpagon renonce à tout pour récupérer sa cassette en laissant un barbon providentiel régler tous les frais de la noce. Le critique Robinet aime la pièce « pleine de gais incidents, jouée par une troupe excellente ». Molière est la vie même, son jeu est incarné, empreint de vérité, et fait rire.

Le succès tarde pourtant... Jouée huit fois en septembre, la pièce est retirée faute de recettes. Les raisons de l’échec sont à chercher dans la longueur de la pièce en prose, à l’heure où la grande tragédie versifiée règne. Et le personnage d’Harpagon inquiète autant qu’il amuse. L’avare est un vieillard cupide qui finit seul. L’amour filial, la famille, l’honneur, tout est bafoué.

Jouée quarante sept fois du vivant de Molière, L’Avare l’est peu au XVIIIe siècle, puis le rôle est repris par les plus grands comédiens à partir des XIXe et XXe siècles. La noirceur d’Harpagon, sa solitude les fascinent, que la pièce soit jouée comme une farce ou comme un drame. Dans une interprétation restée fameuse, Charles Dullin y est magistral.

L’Avare est une des pièces les plus jouées du répertoire. Ce mélange unique de comique et de tragique crée un genre tout à fait nouveau : la grande comédie dramatique. Molière en est l’inventeur : c’est l’œuvre de sa vie.

Frédéric Folcher
Archives de France

Source: Commemorations Collection 2018

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