Page d'histoire : Charles Gounod Paris, 17 juin 1818 – Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), 18 octobre 1893

Charles Gounod, huile sur toile d’Ary Scheffer (1795-1858), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.

Le 23 octobre 1883, c’est avec le Faust de Charles Gounod, chanté en italien, que fut inauguré le Metropolitan Opera de New York. Depuis sa création au Théâtre-Lyrique à Paris en 1859, son succès, en France comme à l’étranger, ne s’est jamais démenti. Avec plus de 2 300 représentations à l’opéra Garnier, Faust est à la fois emblématique de la production de Gounod et sans doute le plus célèbre opéra du répertoire français. Devenu l’archétype de l’art lyrique dans la culture populaire, parfois au bord de la caricature, sa renommée dépasse le monde de la musique. Ainsi Bianca Castafiore, qui fit son apparition dans Le Sceptre d’Ottokar en 1939, a-t-elle immortalisé l’« Air des bijoux » de Marguerite et fait connaître le Faust à des générations de lecteurs de Tintin. Plus près de nous, Gounod est toujours présent au-delà de l’univers de la musique classique, puisque son fameux « Ave Maria », arrangé d’un prélude de Bach, fait partie des « tubes » classiques les plus écoutés et réutilisés, jusqu’à la chanteuse belge Maurane en passant par de très récentes émissions de téléréalité américaines.

Fils d’un peintre et d’une pianiste amateur, Gounod étudie la musique, comme Berlioz et Liszt, avec Reicha. Par la suite, il devient l’élève, au Conservatoire, d’Halévy et de Lesueur. En 1839, il remporte le prix de Rome avec sa cantate Fernand. Lors de son séjour à la Villa Médicis, Ingres fait son portrait. Gounod, également dessinateur de talent, auteur d’une vaste correspondance et de nombreux textes sur l’art, est animé dans les années 1840 par une foi profonde. Proche de Lacordaire et de Charles Gay, musicien ayant choisi la voie religieuse, il admire l’œuvre des maîtres anciens, comme Bach et Palestrina, et se consacre presque exclusivement à la musique religieuse.

À son retour à Paris en 1843, il devient directeur de la musique à l’église des Missions étrangères. Il écrit dans ses mémoires s’être senti « une velléité d’adopter la vie ecclésiastique » et, autorisé à porter l’habit, se fit un temps appeler l’abbé Gounod. Finalement, « étrangement mépris sur [s]a propre nature et sur [s]a vraie vocation », il décida de « rentrer » dans le monde. Parmi ses œuvres religieuses figurent d’innombrables motets, des oratorios (Les Sept Paroles du Christ sur la croix, Rédemption, Mors et vita), plusieurs messes brèves et solennelles dont la Messe solennelle de sainte Cécile, la Messe du Sacré-Cœur de Jésus, la Messe chorale sur l’intonation de la liturgie catholique, composée pour la béatification de Jean-Baptiste de La Salle, et la Messe dite « de Clovis », d’après le chant grégorien, pour le quatorzième centenaire de son baptême. En 1885, son Hymne à saint Augustin est destinée à la consécration de la basilique de Saint-Augustin à Hippone et, depuis 1950, sa Marche pontificale, composée en 1869 pour le jubilé de Pie IX, est l’hymne national de la Cité du Vatican.

À partir des années 1850, Gounod s’oriente vers une carrière lyrique. Il est nommé directeur de l’Orphéon de Paris et épouse en 1852 Anna Zimmermann, la fille de Pierre Joseph Zimmermann, professeur de piano au Conservatoire. Ses premiers opéras (Sapho, Ulysse, La Nonne sanglante, Le Médecin malgré lui) ne rencontrent pas de véritable succès, et c’est Faust, en 1859, qui le consacre comme compositeur lyrique. Suivront, entre autres, La Colombe et Philémon et Baucis, deux opéras-comiques, La Reine de Saba, Mireille (d’après le poème Mirèio de Frédéric Mistral), Roméo et Juliette, Cinq-Mars et Polyeucte, opéra chrétien d’après Corneille. Entre 1870 et 1874, alors qu’il séjourne en Angleterre, il compose le « motet-lamentation » Gallia sur des paroles en latin inspirées du livre des Lamentations. Il y compare le sort de Jérusalem à celui de Paris sous la Commune. Gounod meurt le 18 octobre 1893. Des funérailles nationales ont lieu à la Madeleine avec les honneurs mili - taires (il était grand officier de la Légion d’honneur et membre de l’Institut). Selon son souhait, une messe grégorienne accompagne la liturgie.

Le patriotisme de Gounod s’exprime, surtout après 1870, dans des œuvres aux accents historiques et épiques comme Gallia, Les Deux Reines de France et Jeanne d’Arc (musiques de scène), divers chants comme les Stances à Molière, Le Vin des Gaulois et la danse de l’épée (légende bretonne), Notre-Dame de France, Hymne à la France ou Vive la France, sur des paroles de Paul Déroulède. Sa carrière et son œuvre, entre le théâtre et l’Église, sont intimement liées à l’histoire. Ses opéras participèrent au renouvellement de l’art lyrique français et sa musique religieuse assuma une modernité inspirée par le retour au chant grégorien, alors à la mode et considéré comme une expression populaire et nationale.

Les multiples engagements de Gounod dans le monde lyrique et religieux, dans le mouvement orphéonique au caractère religieux et social, sa présence enfin dans la vie artistique et institutionnelle de la nation, à Paris et en province, font de lui un compositeur emblématique des évolutions de la France au XIXe siècle.

Nicolas Dufetel
CNRS – IReMus

Source: Commemorations Collection 2018

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