Document d'archives : Souvenirs du comte Hippolyte d'Espinchal (1779-1864) entre 1789 et 1862

Contenu :

Présentation du contenu
Partie 5 : Italie ; France (1813-1815)
Parie 6 : voyages en Angleterre et en France ; vie à Clermont-Ferrand, avec des séjours à Paris et à Massiac (1817-1835)
Partie 7 : voyage en Russie (1836-1837) ; dernières annotations (1862) ; gravures et lithographies
Cartes européennes des XVIIIe et XIXe siècles

Cote :

1 J 823-2

Informations sur l'acquisition :

Informations sur les modalités d'entrée
Achat, 2011

Observations :

Commentaire
Les mémoires du comte d'Hippolyte d'Espinchal
Le Conseil général a acquis au printemps 2011, pour la somme de 10.000 euros, une version inédite des mémoires du comte d'Espinchal ; il a bénéficié pour ce faire d'une subvention de 5.000 euros du ministère de la Culture (Service interministériel des Archives de France).
Les mémoires du comte Hippolyte d'Espinchal (1779-1864) étaient connus à travers le manuscrit déposé à la bibliothèque de Clermont-Ferrand dès sa mort . Ce texte avait fait l'objet d'une première édition en 1901, reprise en 2005 . Mais les 3000 pages, divisées en 7 parties, agrémentées de 144 gravures ou lithographies et de cartes anciennes (en rapport avec le récit), achetées par les Archives départementales à la librairie Bonnefoi (Paris), si elles contiennent des passages du manuscrit connu et édité, offrent un texte bien plus long et bien plus complet. Hippolyte d'Espinchal suit son père Thomas en émigration ; il combat comme lui, avec l'armée de Condé, dans toute l'Europe. De retour en France, il se met au service de l'Empereur, ce qui vaut un éclairage intéressant sur les guerres napoléoniennes. Le manuscrit de Clermont-Ferrand, et donc les deux éditions qui en ont été données, se bornent à la période 1789-1815 et aux aspects militaires. Le manuscrit récemment acquis comprend, dans ses parties 6 et 7, le récit inédit de voyages en Angleterre (entre 1817 et 1835) et en Russie (en 1836-1837), qui apportent un regard original sur la vie politique et sociale de ces deux pays.
Si les récits de séjours et de combats en Europe forment le plus gros de ces mémoires, où alternent récit à la première personne et transcription de lettres reçues ou envoyées à des membres de la famille, le Cantal est loin d'être absent du texte. C'est du reste hors des périodes militaires que le texte se fait plus pittoresque et personnel. Il dresse le portrait des grands hommes qu'il côtoie, des femmes qu'il courtise et/ou conquiert. Chaque chapitre est complété d'une table des matières et d'un index des noms de personnes les plus importantes qu'il a rencontrées.
Dans l'avant-propos, Hippolyte raconte comment il trouva, dans les archives de leur château de Massiac, une liasse où son père avait renfermé les lettres reçues de lui-même. "Cette rencontre imprévue dont j'étais si loin de supposer l'existence m'inspira l'idée d'en faire le préambule d'un ouvrage écrit depuis quelques années sur mes campagnes de l'Empire" (probablement le manuscrit de Clermont-Ferrand). La partie 2 raconte le retour d'émigration ; au chapitre III, Hippolyte décrit son retour à Massiac, sous les "ovations" de la population : après avoir décrit les lieux d'implantation de ses ancêtres, il décrit à son frère (lettre du 28 août 1803) les tractations qu'ils eurent, avec leur père, pour négocier le rachat des biens familiaux vendus nationalement.
"Les nombreux acquéreurs avec lesquels nous avions à traiter présentaient un assez grand embarras par les prétentions plus ou moins exagérées de chacun et déjà nous désespérions du succès lorsqu'un aubergiste et un meunier, acquéreurs du château et d'un vaste enclos y attenant, entrèrent franchement en accommodement du bien dont ils étaient détenteurs. Cette première affaire terminée en a entraîné d'autres, et en moins de huit jours nous rentrâmes dans une partie considérable de bois, un magnifique moulin, des prairies, une caserne de gendarmerie, ainsi qu'un charmant endroit nommé l'Ermitage, créé par mon père avant la révolution et pour lequel il avait conservé une affection toute particulière.
Tu dois penser que ces rachats ne se sont pas faits avec des coquilles de noix et qu'il a même fallu d'assez grands sacrifices d'argent, mais notre père regarde cette affaire comme très bonne par l'ardent désir qu'il avait de s'abriter de nouveau dans un manoir possédé depuis si longtemps par nos ancêtres. Ainsi, en l'espace d'un siècle et demi, dépouillés deux fois, par une décision royale et la volonté nationale, nous voilà revenant sous le toit paternel (…)."
Après avoir effectué ces démarches, Hippolyte visite "l'abominable petite ville de Blesle, gissant au fond d'une étroite vallée rocailleuse dans laquelle se trouve un vieux et insignifiant château où mon père est venu au monde", qui lui permet d'évoquer l'ancien chapitre noble composé de "saintes et souvent fort jolies recluses". Il rend visite à l'abbé de Pradt, qui improvise une chanson en son honneur, et lui laisse une impression agréable, malgré le malaise suscité par le décalage entre sa "soutane" et "ses allures toutes mondaines".
À la fin de l'année 1803, la commune de Massiac est touchée par deux catastrophes naturelles : un débordement de l'Alagnon, qui provoque une inondation, suivie deux jours plus tard de l'incendie d'un quartier de la ville. Une "forte indemnité" permet de rembourses les pertes, "grâce à la sollicitude de Monsieur Rioux, préfet du Cantal, aux démarches incessantes de mon père près des nombreux amis qu'il avait au pouvoir et aux généreuses dispositions du premier consul". Le retour en France des d'Espinchal fut en effet facilité par l'amitié ancienne qui liait la mère d'Hippolyte, née de Gaucourt, à Joséphine de Beauharnais ; Hippolyte, voulant mettre ses talents militaires au service de la France, entre en 1806 dans le corps nouvellement créé des Gendarmes d'ordonnance de l'Empereur. Ses campagnes étrangères sont entrecoupées de séjours à Paris, dans les années où l'ascension de l'Empereur semble ne jamais devoir s'arrêter, et où sa gloire est répandue sur la vie mondaine et galante de la capitale.
Les campagnes le tiennent éloigné de la France. Il fait auprès de son père, à Massiac, un séjour à l'automne 1810 (partie 4, chapitre I) : "les quinze jours que je passais à Massiac peuvent être comptés au nombre de plus heureux de ma vie ; ils s'écoulèrent avec une telle rapidité qu'au moment de mon départ, je ne me croyais arrivé que de la veille et, si mon séjour avait été plus long, j'emportais du moins la douce espérance de le renouveler bientôt en allant en Espagne". Les contraintes de la diligence avaient imposé une attente de trois jours à Clermont, au cours duquel il fit, avec de "bons et anciens amis" (Onslow, Chalagnat, Murat, Champflour, de Leyval, Sédaiges et Saint-Didier), une partie de campagne au château de Tournoël. Cet épisode nous vaut une explication historique et une description de ce château. Il fait comme prévu, sur la route de l'Espagne, un plus séjour à Massiac à l'automne 1811, en compagnie de son frère et de sa belle-sœur (partie 4, chapitre III) : "Mon père, heureux d'être entouré de ses enfans, voulut rendre ses voisins témoins de son bonheur en les réunissant chez lui ; aussi ce ne fut encore, pendant tous ce temps, que gala, danses, courses et plaisirs, jusqu'au moment où il me fallut de nouveau quitter le toit paternel pour aller courir encore les chances de la guerre". Il est flanqué de son "fidèle cosaque à peu près francisé à Massiac pendant le long séjour qu'il venait d'y faire". George de Retz, l'un de ses camarades d'enfance, l'accompagne jusqu'à Aurillac. Il met ensuite sept jours pour gagner Montauban en patache, sorte de "charrette couverte en toiles goudronnées (…) horrible et détestable voiture inventé pour le malheur et le tourment de l'infortuné voyageur".
Il ne revient à Massiac qu'en octobre 1814, pour jouir d'un congé sous la première Restauration (partie 5, chapitre XIII). Son père n'y est pas : il est à Paris, dans "le désir d'y faire sa cour à la famille royale, et plus particulièrement près de Monseigneur le prince de Condé, qui l'honorait d'une ancienne et durable amitié". Hippolyte fait le bilan de ses huit années et demi de campagnes : 5783 lieues parcourues, les "combats les plus sanglants que jamais l'histoire puisse retracer", quatre blessures, sept chevaux tués. Il se rallie alors aux Bourbons, leur demeurant fidèle durant les Cent Jours. Commencent alors les parties 6 et 7, inédites.
Il est marié à Genevière de Montorcier par son père, maire de Massiac, le 15 juillet 1817, "au milieu des bons habitants de Massiac qui semblaient heureux de mon bonheur". Il écrit à son ami le baron de Bainville, le 25 juillet : "Je ne te donnerai pas le détail des coups d'escopettes sans nombre, du chant des cornemuses de nos montagnes, des danses villageoises d'un immense feu de joie qui avait l'air d'un incendie, mais je te dirai qu'une bonne vieille femme, âgée de cent sept ans, nourrice de mon aïeul, bonne de mon père et qui m'a souvent porté dans ses bras, a quitté son chalet d'un pas leste pour venir me souhaiter une vie aussi longue que la sienne, se promettant, non pas d'allaiter la quatrième génération, mais de l'endormir dans son berceau".
On aurait pu s'attendre à ce qu'Hippolyte goûte les joies paisibles de la vie conjugale, après toutes ces années de galanteries, de fureur et de nomadisme guerriers. Une nouvelle aventure commence : il s'agit d'aller arracher le frère de sa femme des geôles d'Henri Ier, roi d'Haïti ; ce colon finit par y mourir en 1823. Le ménage s'installe à Clermont ; une fille, Léonine, naît en juillet 1818 ; on lui choisit une nourrice massiacoise.
En mai 1820, à l'occasion d'un voyage à Nantes, on lui montre la "charmante petite maison" de Carrier, "procureur à Aurillac" (partie 6, chapitre V) : "les souvenirs affreux de la mission de cet homme atroce étaient encore tellement présents à la pensée des habitants que nul ne voulait habiter dans ce gracieux pavillon, tout imprégné de crime et de sang ; sa solitude, ses salles désertes et le luxe de ses ornements assombrissaient l'âme en pensant que là, au milieu des orgies les plus échevelées, de la luxure la plus dégoûtante, un monstre abominable cuvait dans son vin le plaisir d'envoyer à la mort des hommes vertueux, des femmes belles et aimables, ainsi qu'une jeunesse remplie d'espérance et d'avenir. Je m'éloignai tristement de ce lieu sinistre, avec l'espoir qu'on y verrait un jour un monument expiatoire".
Le 25 février 1823 meurt son père, sujet d'affliction "pour le pays qu'il administrait depuis si longtemps après en avoir été le seigneur" (partie 6, chapitre IX). Hippolyte et sa femme font des séjours à Paris, où ils voient la duchesse de Berry : "Un dimanche, S.A.R. ayant emmené ma fille aux Tuileries, la présenta au Roi [Charles X] au moment où il allait à la messe. S. M. daigna l'enlever dans ses bras et l'embrasser ; depuis cette époque on l'appelait la petite favorite, aussi doit-on juger combien sa mère était heureuse et fière des succès de son enfant." L'enfant meurt subitement le 5 janvier 1828, laissant ses parents dans une affliction que la plume d'Hippolyte, après avoir été martiale sous l'Empire, décrit dans le plus pur style romantique (partie 6, chapitre XII). Au moment de la Monarchie de Juillet, d'Espinchal souligne que la Restauration lui avait fait payer par un "injuste" oubli, ses années passées au service de l'Empereur. Ainsi son attachement à la dynastie était-il plus familial et sentimental que véritablement politique. Il démissionne de ses fonctions de maire de Massiac en 1835. Il raconte une promenade dans la forêt de la Margeride, au cours de laquelle il rencontre une louve et ses louveteaux, l'accueil des princes de la Tour-d'Auvergne au château de la Margeride, une excursion à Chaudes-Aigues, et la répulsion qu'il éprouve pour Saint-Flour. De retour à Massiac, il assiste au boniment "d'un charlatan d'un ordre supérieur", qui se révèle être "un ancien chirurgien major de dragons" connu lors de la guerre d'Espagne. Hippolyte rapporte toute l'histoire picaresque de ce Claude Duchaume, fruit des amours d'un huissier et de la nièce du curé de Sainte-Énimie.
Le récit de son voyage en Russie en 1836, durant lequel il est présenté au tsar, offre un panorama intéressant du pays.
Le manuscrit se termine par quelques pages écrites en 1862 d'une main tremblante ; il y retrace les derniers événements de sa vie : la perte de 180.000 francs éprouvée par son frère à cause de la faillite d'une maison de banque ; la mort de son frère, veuf, en 1852, et celle de sa femme en 1862, "emportant les regrets de toute la population de Clermont avec la triste perspective qu'en moi devait s'éteindre un nom honorablement porté déjà même à l'époque des croisades où figurait la bannière de Bertrand d'Espinchal, ainsi que le constate le musée de Versailles" (partie 7). Enfin, la dernière mention manuscrite signale le passage de l'empereur Napoléon III à Clermont-Ferrand le 18 juillet 1862, visite au cours de laquelle le vieux soldat reçut des mains de l'Empereur la cravate de commandeur de la Légion d'honneur.
"Le lendemain, un bal magnifique lui fut offert par la ville pendant lequel S.M. me fit appeler, et de son trône à mon approche : 'Colonel d'Espinchal', me dit l'Empereur, 'j'ai reçu du ministère de la guerre vos états de service : vous avez fait toutes les guerres de l'Empire avec la plus grande distinction'". L'Empereur en fait la lecture, puis le fait commandeur. "Alors l'impératrice s'approchant de moi me dit : 'M. le marquis d'Espinchal, je prends une grande part à ce qui vous arrive d'heureux' ; 'Et moi, Madame', répondis-je, 'mon bonheur serait complet si Votre Majesté daignait m'accorder une insigne faveur'. 'Laquelle ?', répondit l'impératrice. Celle de lui baiser la main, qu'elle me tendit aussitôt ; alors, pliant un genou, mon désir fut accompli aux regards de toute l'assemblée et je me retirais tellement surpris de ce qui venait de m'arriver que je croyais rêver malgré toutes les félicitations dont j'étais l'objet".
Et c'est ainsi que le vieux hussard, qui avait été présenté à l'Empereur en 1806 et brillé dans la fleur de l'âge sur tous les champs de bataille d'Europe, baisa en 1862, un genou en terre, la main de l'Impératrice.
Le Commandeur meurt en 1864, à l'âge de 85 ans. Ses mémoires, qui portent sur près de 73 ans d'histoire française et européenne, attendent désormais leur éditeur.

Archives départementales du Cantal

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