Inventaire d'archives : Fonds Louis Carré. Plaques de verre (XXe siècle)

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INTRODUCTION
Louis Carré, directeur d'une grande galerie d'art parisienne a souhaité léguer ses archives personnelles aux Archives nationales, de préférence à toute autre institution. Sa volonté, exprimée dans son testament du 25 février 1976, a été respectée, et ses papiers personnels ont été versés aux archives privées le 23 novembre 1978, sous le n° d'entrée 2796, et ont reçu la cote 398 AP. (66 cartons).
Il n'est pas facile d'évoquer la vie de Louis Carré, car il ne fut jamais l'homme d'une seule carrière, mais sût au contraire infléchir sa destinée par des prises de position soudaines, à la fois passionnées et réfléchies, qui lui ouvraient de nouveaux champs d'action insoupçonnés. Mais en même temps, il ménageait les transitions, et engageait son énergie dans des activités concurrentes qui font de sa vie un réseau complexe, à travers lequel l'observateur attentif parvient toutefois à trouver toutefois le fil conducteur : Louis Carré a toujours voulu aller de l'avant, et découvrir sans cesse : d'abord de nouvelles formes d'art ; puis de nouveaux talents.
Louis Carré est né à Vitré en 1897. A l'origine, rien ne le destinait à l'histoire de l'art. Juriste de formation, il a été amené à l'art par la bande : son père, horloger-bijoutier, devint antiquaire à Rennes, se spécialisant dans les oeuvres du Moyen-âge et l'orfèvrerie ; c'est ce qui suggère à Louis Carré le sujet de sa thèse de doctorat en droit, les corporations d'orfèvres, qui l'amène à faire des recherches sur les poinçons d orfèvrerie L'aboutissement de ces travaux sera l'édition de deux ouvrages qui font encore autorité, en 1928, et en 1929, appelés aussi avec humour le Grand Carré et le Petit Carré. Les poinçons de l'orfèvrerie française depuis le XIVe siècle jusqu'au début du XIXe siècleLe guide de l'amateur d'orfèvrerie française
Le premier changement d'orientation dans la vie de Louis Carré se produit en 1923, quand il décide d'abandonner le Barreau, après quelques mois d'exercice, pour reprendre le commerce de son père, d'abord à Rennes, puis à Paris, rue du Faubourg Saint-Honoré de 1925 à 1931. La publication de ses ouvrages a fait de lui un expert en orfèvrerie ancienne, et il consacre ses premières expositions à l'orfèvrerie, mais il ne se satisfait pas de ces succès, et très vite, vers 1930, il change à nouveau d'orientation et se tourne vers l'art primitif et africain. Liquidant son commerce de la rue Saint-Honoré, il s'installe Villa Guibert et s'associe avec Charles Ratton, avec qui il fréquente les ventes de Sotheby, grand pourvoyeur d'objets des colonies sur le marché européen. Ensemble, Louis Carré et Ratton organisent à l'Hôtel Drouot la vente de la collection Breton-Eluard. Les papiers Louis Carré nous renseignent fort peu sur ses activités antérieures à 1930. Le commerce des antiquités n'est représenté que par des séries de reçus en 389 AP 31, et on ne trouvera qu'un seul dossier sur le commerce des oeuvres africaines, en 389 AP 32.
La mort de la première femme de Louis Carré en 1933 le pousse à travailler encore plus, à organiser de grandes expositions et à prospecter le marché d'art américain. Il s'installe rue Nungesser et Coli, devenant le voisin de son ami Le Corbusier avec qui il réalise une exposition de synthèse en 1935, "Les arts dits primitifs dans la maison d aujourd'hui". A la même époque, Louis Carré découvre la sculpture grecque archaïque avec Jean Charbonneaux, et présente des moulages de sculptures du musée de l'Acropole en 1934, exposition qui fut un petit évènement à Paris. Ce goût de l'événement, cette intuition qui le pousse à exploiter des domaines encore inexplorés, Louis Carré les met en pratique dans la conquête du public américain à qui il apporte les récentes découvertes françaises ; ainsi "La Tour et les frères Le Nain" à New-York en 1936, à la suite de la grande exposition de l'Orangerie sur les peintres de la réalité ; de même, Louis Carré fait découvrir Toulouse-Lautrec au public américain en 1937.
Parallèlement, Louis Carré s'associe avec Roland Balaÿ (de la galerie Knoedler à New-York) pour fonder en 1937 une galerie à Paris, avenue de Messine, où il devait demeurer par la suite. Il inaugure la galerie avec des expositions d'art contemporain, Paul Klee, Juan Gris et Le Corbusier. L'association avec Balaÿ dura peu de temps, et en 1941 Louis Carré reprit la galerie à son compte. La guerre avait mis en sommeil ses activités. Démobilisé, Louis Carré décide d'exposer des peintres français ; tout d'abord des valeurs consacrées, Maurice Denis, Bonnard, Vuillard, et Maillol, Matisse ; mais aussi Rouault, et Dufy à qui Louis Carré s'attachera durant toute sa carrière. Après 1945, il confirme cette vocation de spécialiste de l'art contemporain, en exposant Picasso, Calder, Léger. Il s'attache à découvrir de nouveaux talents qu'il fait connaître et impose sur le marché d'art international : ainsi pour Bazaine, Estève, Lapicque, Gromaire Lanskoy, Sa plus belle réussite est sans doute la mise en valeur de l'oeuvre de Jacques Villon, restée dans une semi-obscurité jusqu'en 1950.
Louis Carré s'est toujours défendu de suivre la mode et de pratiquer la spéculation. Au contraire, il se flattait de promouvoir la peinture qu'il aimait. Son but était, ainsi qu'il l'a dit lui-même "d'apporter aux artistes, si possible de leur vivant, une certaine auréole". "Une fois l'artiste imposé, je passe la main aux grandes expositions monumentales, officielles, internationales". Si la réussite de Louis Carré repose à l'origine sur une excellente intuition, tant de la valeur d'un artiste que des tendances du marché d'art, elle doit aussi beaucoup à une méthode rigoureuse. Il est l'un des premiers à avoir analysé et mis en place la machine de la promotion en matière d'art : il s assurait la production d'un artiste pendant deux ou trois ans (sans avoir besoin cependant de signer un contrat), puis organisait une grande exposition à un moment favorable. Louis Carré pensait que le meilleur service à rendre à un artiste est de présenter son oeuvre le plus favorablement possible, de manière à séduire l'amateur, aussi avait-il la passion des accrochages irréprochables, auxquels rien ne pourrait être changé, se plaisait-il à dire. Chaque exposition était accompagnée d'un catalogue scientifiquement et esthétiquement très soigné, destiné à garder le souvenir de l'évènement, mais aussi à suivre l'histoire des oeuvres. Ce soin jaloux apporté à l'élaboration de ses catalogues a entraîné Louis Carré dans une activité de bibliophile et d'éditeur d'art, ainsi qu'il se désignait, méprisant le terme de marchand. Toutes ces activités de surface - expositions et éditions d'art- étaient soutenues par une infrastructure très solide que Louis Carré fut l'un des premiers à mettre au point sur la place de Paris : réalisation d'une documentation photographique exhaustive, tenue des archives et parfaite gestion des stocks permettent d'établir le "pedigree " d'une toile, qui est la base du commerce d'art actuel.
Parallèlement à ses activités parisiennes, Louis Carré menait une carrière new-yorkaise avec l'ouverture en 1947 de la Louis Carré Art Gallery, qu'il avait projetée et préparée dès 1939, comme en témoigne sa correspondance avec Mrs Bunim (389 AP 29). Si certaines expositions eurent beaucoup de succès, les Américains ont reproché à Louis Carré, semble-t-il, de consacrer uniquement la peinture française. Toutefois, il se flatte d'avoir fait découvrir Gromaire, et d'avoir largement contribué à imposer Léger outre-Atlantique, mais s'est dit déçu par le mauvais goût des amateurs américains, et a fermé sa galerie new-yorkaise en 1952, sans abandonner le marché américain.
Les années 1950 furent les belles années de la galerie Carré. Les expositions de l'avenue de Messine devinrent rapidement des événements dans le monde artistique parisien. Louis Carré ne présentait pas seulement des artistes de valeur, il avait aussi l'art de bien équilibrer ses programmes, alternant rétrospectives, oeuvres récentes, aspects de l'oeuvre d'un peintre et expositions de groupe, sachant alterner aussi valeurs consacrés et talents à promouvoir.
La passion de Louis Carré pour l'art contemporain trouva sa consécration hors du champ professionnel, dans la construction de la maison de Bazoches sur Guyonne. Louis Carré souhaitait depuis longtemps faire construire sa propre maison, et trouva l'interlocuteur idéal en la personne d'Alvar Aalto, le grand architecte finlandais, à qui il laissa carte blanche, C'est Alvar Aalto qui a entièrement conçu la"Maison Carré", le jardin, la piscine et le mobilier, jusqu'aux boutons de porte, ainsi qu'en atteste la série complète des plans (389 AP 57-65.). Les archives (389 AP 44-65) nous font suivre pas à pas les étapes de cette extraordinaire opération de mécénat, qui n'est pas sans rappeler le mécenat des princes allemands du XVIII siècle qui s'attachaient un architecte français renommé pour la construction de leurs demeures de plaisance : Louis Carré n'a-til pas fait venir Aalto de Finlande aussi souvent qu'il le fallait ? n'a-t-il pas importé le bois de construction de Finlande, s assurant la collaboration de charpentiers finlandais en France ? n'at-il pas commandé tous ses meubles en Finlande ? Tous les dossiers nous font revivre les étapes de cette réalisation unique en France, dont les archives constituent une source exceptionnelle. e
Le présent inventaire ne rend pas entièrement compte du fonds Louis Carré tel qu'il a été versé.
Une répartition a tout d'abord été opérée : des clichés-verre, constituant une documentation photographique partielle sur les oeuvres d'art ont été remis au service photographique des Archives nationales, et ne figurent pas à l'inventaire ; de même pour la bibliothèque d'orfèvrerie de Louis Carré qui sera confiée à une bibliothèque. A l'intérieur même du fonds d archives a été effectuée une sélection, remettant certaines catégories de documents à un clas sement ultérieur : ainsi, tous les documents ne concernant pas par Louis Carré ont été laissée de côté. Il s'agit d'une collection personnelle d'actes notariés du XVII et XVIII siècle, et des archives personnelles et familiales de l'antiquaire Alfred Sambon. Louis Carré avait acheté ce fonds à la famille Sambon vers 1970, car il projetait d'écrire ou d'éditer un vaste ouvrage sur l'histoire du commerce d'art en France. C'est pourquoi il avait sollicité les services d'une archiviste, Madame Mallisson, qui a classé et inventorié le fonds Sambon (AS. 1-110.). Ont été également laissés de côté la documentation photographique sur papier (qui concerne le commerce des antiquités), et, faute de temps, les notes d'érudit et les fichiers sur l'orfèvrerie : ceux-ci ont été pour la plupart publiés dans le Grand et le Petit Carré, et concernent une branche très délimitée des activités de Louis Carré. Il est à signaler que les plans de la "Maison Carré", classés et inventoriés (389 AP 57-65.) ont été provisoirement repris par la famille de Louis Carré. La loi d'archives, qui règlemente la communication des documents, protège ces plans contre le risque de plagiat artistique, redouté par la famille, aussi cette reprise n'est-elle que temporaire. ee
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L'ensemble retenu pour le présent inventaire est cohérent et homogène, et comprend tous les papiers personnels de Louis Carré (389 AP 1-16), la totalité des archives professionnelles versées (389 AP 17-45, et 389 AP 66, Affiches d'expositions), et tout ce qui concerne Bazoches sur Guyonne (389 AP 44-65). L'accent est donc mis sur les aspects les plus importants et les plus significatifs de la vie de Louis Carré : le commerce d'art, et la construction de la "Maison Carré".
Le faible volume des archives professionnelles (27 cartons) laissait supposer que la majorité des archives était restée à la galerie de l'avenue de Messine, maintenant dirigée par Patrick Bongers petit-fils de Louis Carré. Une visite avenue de Messine a confirmé cette intuition : la plupart des dossiers professionnels, d'u tilité courante, a été conservée sur place. Les chercheurs ne de vront donc pas s'étonner d'être confrontés à une documentation ri che, mais lacunaire, et à des sources relativement indirectes (ainsi la très intéressante série des voyages de Louis Carré, 389 AP 24-28, qui nous présente la relation au jour le jour de la vie de la galerie, est une des sources les plus intéressantes du fonds, mais reste relativement allusive). Pour une recherche approfondie, le chercheur devra donc d'adresser à la galerie Louis Carré, 10 avenue de Messine.
Le fonds Louis Carré est parvenu aux archives dans un bon état de classement. Louis Carré, homme de méthode, appliquait la même discipline dans tous les domaines. Son classement a été respecté, autant qu'il était possible, mais des regroupements ont été effectués pour compenser le côté lacunaire des archives professionnelles.
Les papiers Louis Carré nous offrent donc, plus que l'histoire d'une galerie d'art, comme certains s'y attendent, l'histoire d'un d'un homme exceptionnel qui a réussi dans toutes ses entreprises, quelles qu'elles soient, et a marqué le commerce d'art en France. C'est le destin et les choix d'un promoteur de l'art contemporain, et, avec la construction de la "Maison Carré", l'histoire très originale d'un mécénat moderne que nous dévoilent ces archives.

Cote :

389AP/1-389AP/68

Publication :

Archives nationales
1999-2000

Localisation physique :

Pierrefitte

Identifiant de l'inventaire d'archives :

FRAN_IR_004921

Archives nationales

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