Inventaire d'archives : Trésor des Chartes (registres). Registres de chancellerie de Louis XII (1498-1502)

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Introduction
Le présent inventaire comprend l'analyse de six registres de la chancellerie de Louis XII, répondant aux années 1498 à 1501. Ces six registres sont les seuls qui nous soient parvenus de la chancellerie de ce prince, et après eux commence le plus important déficit constaté dans la série des registres du Trésor des Chartes, puisque, de la date de 1501, il s'étend jusqu'à celle de 1522.
On a à diverses reprises et vainement recherché l'origine et la cause de ce déficit. Les anciens inventaires du Trésor des Chartes ne permettent même pas d'établir de façon certaine à quelle époque il remonte. Tout ce que l'on peut dire c'est qu'il existait déjà au XVII siècle, puisque, dans les copies exécutées alors sur l'ordre de Colbert et conservées aujourd'hui à la Bibliothèque nationale, on constate l'existence de la même lacune. Il est d'ailleurs infiniment probable que, par suite d'une cause qu'on ne peut préciser, les registres perdus l'ont été avant même d'avoir été versés des bureaux de la chancellerie au Trésor des Chartes, et que par conséquent leur disparition n'est point imputable aux gardes de ce Trésor. e
Mais si le présent inventaire n'embrasse qu'une période de trois ans, il rachète cette courte portée chronologique par la variété et l'intérêt des pièces qui s'y trouvent analysées. On sait que les registres de chancellerie contenaient en principe la copie intégrale de tous les actes émanés de l'autorité royale, mais en fait plus spécialement la copie de ceux dont le pouvoir ou les bénéficiaires pouvaient désirer voir le double conservé d'une façon durable aux Archives de la couronne. Cet enregistrement dans les registres de la chancellerie donnait même lieu à la perception d'un droit exigé des particuliers qui sollicitaient pareille mesure préservatrice. On comprend d'après cela que les actes ainsi insinués soient les plus divers et je n'en citerai que les principales variétés en énumérant : les octrois ou confirmations de privilèges aux villes ; les créations ou confirmations de foires et de marchés ; les nominations de fonctionnaires ; les lettres de garde pour les églises et les établissements religieux ; les lettres d'amortissement en faveur des bénéficiaires de donations pieuses ; les privilèges accordés aux Corps de métier, aux Universités, aux hôpitaux ; les lettres de rémission, de naturalisation, de légitimation, d'anoblissement ; les donations faites par le roi ; les autorisations accordées aux seigneurs de fortifier leurs châteaux, d'ériger en leurs seigneuries des fourches patibulaires ; les autorisations de tester accordées à des étrangers, etc.
Donner de tant d'actes de nature si différente une analyse détaillée était une entreprise d'autant plus utile que les anciens inventaires que nous en avions conservés, et en particulier celui de Dupuy, étaient insuffisants, car les analyses des pièces y étaient d'une concision qui ne permettait pas souvent d'en apprécier la valeur historique ; inutilisables souvent, car les noms de personnes et de lieux y étant à peine identifiés, beaucoup de pièces se trouvaient entièrement perdues dans l'ensemble.
L'inventaire qui en est donné aujourd'hui a pour but et aura pour résultat de mettre en quelque manière toutes ces pièces en valeur, et c'est pourquoi il convient et il me sera aisé de faire ressortir en quelques lignes l'intérêt que présente ce recueil de 2039 analyses d'actes au triple point de vue de l'histoire même du règne de Louis XII, de l'histoire locale, de l'histoire de la société et des moeurs au commencement du XVI siècle. e
C'est d'abord tout le début du règne de Louis XII qui est contenu là, avec mille détails sur l'histoire administrative, religieuse, financière, commerciale et industrielle des premières années de ce règne. Et de cela on peut assez se rendre compte par l'énumération que j'ai faite plus haut des actes principaux analysés dans ce répertoire. Mais l'histoire politique elle-même pourra trouver ici bien des détails intéressants à recueillir spécialement sur la première campagne de Louis XII en Italie, à laquelle se rapportent un très grand nombre d'actes de tout genre destinés à établir et à asseoir la domination française dans le Milanais.
A un autre point de vue, au point de vue de l'histoire locale, il est à peine besoin de noter que la série des registres de chancellerie est une de celles qui peuvent - aux Archives nationales - fournir le plus de renseignements utiles aux curieux de cette histoire. Je ne crains pas de dire qu'en particulier, le présent inventaire contient au moins 8000 à 10000 noms de localités disséminées sur tout l'ensemble du pays de France, et sur lesquelles il nous apporte des détails historiques que l'on chercherait souvent vainement dans les archives locales : c'est la création d'un marché dans telle de ces localités ; pour telle autre, le récit d'une émeute causée par la cherté des grains ; ici quelque scène de violence provoquée par l'établissement des tailles ; là une révolte des villageois contre les gens du seigneur, ou contre les « dîmeurs » de l'abbaye, tous les petits faits enfin dont l'ensemble constitue les annales des moindres bourgs.
Mais l'intérêt capital des documents dont on trouvera ci après l'analyse est bien surtout de nous fournir sur la société et les moeurs du temps les plus précieux renseignements. Parmi ces documents les plus curieux à ce point de vue sont précisément ceux qui forment la plus grosse partie de ce recueil, les lettres de rémission. Les lettres de rémission sont, on le sait, les actes par lesquels le roi accorde sa grâce, la rémission de sa peine à un individu prévenu d'un crime ou d'un délit, lorsque ce coupable peut invoquer en sa faveur quelque circonstance atténuante, quelque excuse. Ces actes étaient rédigés, nous en avons la preuve, sur et d'après la demande même, où l'inculpé faisait le récit des faits, et l'acte royal se trouvait reproduire la plupart du temps et souvent dans les mêmes termes la teneur des suppliques des coupables. Or comme ceux-ci ne craignaient pas d'entrer dans les détails les plus circonstanciés et les plus minutieux pour exposer leur cas, il résulte de là qu'au lieu de présenter l'aspect rébarbatif et la sécheresse ordinaire des documents administratifs, les lettres de rémission ont presque toutes une saveur, un naturel, un agrément qui en font des tableaux de moeurs d'un coloris et d'un relief incomparable.
Toutes les classes de la société défilent d'abord là : sous nos yeux dans le plus pittoresque cortège, gentilshommes que nous surprenons dans leurs occupations habituelles, à la guerre, en garnison, ou en campagne, ou bien dans leurs domaines, absorbés par le soin de leurs cultures, de leurs procès, soucis dont ils se délassent par la chasse, le jeu et les « franches lippées et beuveries » ; paysans que nous voyons courbés sur leur travail, labourant, semant, fauchant, moissonnant, dont nous apprenons les procédés de culture, processifs eux aussi et impitoyables sur toutes les questions de bornage, d'irrigation, de droits de passage, mais se détendant les dimanches et jours de fête en joyeux passe-temps ; bourgeois et marchands des villes à leurs comptoirs ; gens de métier à leur ouvrage, drapiers, couteliers, cordonniers, chapeliers, teinturiers, bonnetiers, potiers, couturiers ; prêtres, curés et vicaires de campagne ; gens de guerre revenant de la frontière et de « delà les monts », ou regagnant leurs garnisons ; mariniers et gens de mer ; maîtres d'école ; étudiants des Universités ; aventuriers, braconniers, faux-sauniers, etc.
Mais ce ne sont pas seulement les types des différentes classes sociales du temps qui revivent ainsi sous nos yeux dans les lettres de rémission, c'est l'homme même du XVI siècle qui est là ressuscité avec ses idées, ses passions, ses habitudes, son langage. Avec ces lettres de rémission nous pénétrons dans les intérieurs, nous assistons aux querelles de famille que soulève telle question d'héritage, ou très souvent encore l'organisation communautaire qui demeure encore si fréquente à cette époque ; nous prenons part aux infortunes conjugales et entendons les lamentations de tant de maris trompés ; nous sommes les témoins et les auditeurs des querelles de ménage ou même d'alcôve qui surviennent entre époux mal assortis ; nous suivons toutes les péripéties d'un enlèvement, ou de la confection d'un faux testament ; nous prenons place dans les auberges à côté de gais compagnons, mais sommes par contre trop souvent les spectateurs des scènes de violence qui suivent ces ripailles ; nous pénétrons dans les lieux mal famés de la capitale et quand nous en sortons, c'est pour nous retrouver dans les rues de Paris et y être témoins de quelque attaque nocturne ; pour nous changer, nous voici invités à une fête de village ou aux noces de quelque « rustique » aisé, et prenant part aux jeux, « devis » et plaisanteries qui accompagnent ces réunions ; un peu plus tard nous partons en pèlerinage ou revenons d'une foire ; dans une église nous voyons se dérouler quelque « mystère », ou sur la place du village nous écoutons se jouer une « moralité » ; nous vivons en un mot complètement et intimement avec les contemporains du roi Louis XII, et cela grâce à des documents, dont la puissance d'évocation est incomparable. e
En terminant, enfin, je voudrais indiquer de quel intérêt d'un autre genre, ou plutôt de quelle utilité peut être sous un dernier rapport le présent inventaire. On remarquera que toutes les fois que la teneur des actes analysés le permettait, on a fait suivre le nom de chaque localité citée des noms de la province, du « pays », du diocèse, du bailliage, de la sénéchaussée, du siège administratif ou judiciaire dont dépendait cette localité. Il a paru bon en effet de relever ces indications qui ont leur valeur au point de vue de la géographie politique, administrative et ecclésiastique de la France à une date donnée et peuvent permettre de préciser et de rectifier à l'occasion les limites des différentes circonscriptions entre lesquelles se trouvait partagé le pays. Ce relevé a sans doute allongé quelque peu le texte des analyses, mais pour le plus grand profit, je crois, de ceux qui consulteront cet inventaire.
Quelques observations techniques et de détail me restent seules à faire.
1. On remarquera, en premier lieu, que le présent inventaire débute par l'analyse de 31 pièces extraites du registre JJ 226 , qui est en dehors et à part de la série des registres de chancellerie de Louis XII (JJ 230 à 235). Dans ce registre ont été réunis un peu pêle-mêle et arbitrairement, semble-t-il, un certain nombre d'actes de Louis XI, de Charles VIII et de Louis XII. Comme ceux d'entre ces actes qui émanent de Louis XII datent du début même du règne de ce prince et que d'un autre côté, ce registre se trouve, par sa cote, précéder numériquement ceux de la chancellerie de Louis XII, j'ai placé tout naturellement en tête de l'inventaire les analyses tirées du registre JJ 226 . AA
2. Une deuxième observation est relative au registre JJ 235 qui est incomplet ne commençant qu'au numéro 70. Les pages qui contenaient les 69 premières pièces ont été égarées et depuis longtemps, semble-t-il, car l'ancienne numérotation des feuillets est, elle, complète de 1 à 151 v°.
3. On remarquera, en troisième lieu, qu'assez fréquemment les mêmes actes ont été enregistrés deux fois ; j'ai dans ce cas renvoyé d'une insinuation à l'autre. Le fait se produit surtout pour les lettres de rémission et s'explique pour elles assez aisément : ces lettres étaient en effet en bien des cas accordées non seulement à l'auteur principal du crime ou du délit, mais aussi à ses complices et chacun d'entre eux avait alors intérêt à en demander et à en obtenir enregistrement. Pour d'autres pièces, confirmation des privilèges des villes, par exemple, la chose est plus difficilement explicable et on ne peut guère en donner comme raison qu'une erreur de la chancellerie.

Cote :

JJ//226/A-JJ//235

Publication :

Archives Nationales
1912

Localisation physique :

Paris

Identifiant de l'inventaire d'archives :

FRAN_IR_000061

Archives nationales

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