Inventaire d'archives : Fonds Sieyès (XVIIe-XIXe siècle).
Contenu :
On a longtemps cru que les archives du célèbre homme politique avaient définitivement disparu.
M. Paul Bastid qui a consacré à Sieyès un très important travail en 1939 (, Paris, 1939, 652 p.) écrivait dans l'introduction de cet ouvrage
qu'à son avis il n'y avait rien à glaner chez les descendants collatéraux de Sieyès et que les
papiers confiés par eux à Hippolyte Fortoul pour une étude que ce dernier préparait sur Sieyès
étaient perdus. Cette perte était jugée par M. Bastid d'autant plus regrettable que Fortoul
ayant prêté certains de ces manuscrits à Sainte-Beuve pour son étude sur Sieyès, parue dans les
, le critique en avait donné des extraits qui
montraient le grand intérêt de ces papiers. Sieyès et sa penséeCauseries du Lundi
Or les descendants d'Hippolyte Fortoul firent don aux Archives nationales, en 1959 et 1964, de
leurs archives de famille (246AP) et on a eu la surprise de trouver parmi celles-ci quelques-uns
des papiers de Sieyès prêtés jadis à l'historien de l'homme d'État révolutionnaire (anciens
cartons 246AP/36 et 37). Les documents contenus dans ces cartons et provenant des archives de
Sieyès ont été classés avec ceux qui ont été achetés par les Archives nationales. Mais surtout
les Archives nationales eurent l'heureuse fortune, en 1967, d'entrer en rapport avec des
descendants collatéraux de Sieyès, M. et Mme de Pennart , et de pouvoir acquérir ce qui
subsistait des archives de leur ancêtre. Celles-ci forment un ensemble très intéressant mais qui
a subi, au cours du XIXe siècle vraisemblablement, des épurations ou des pertes importantes.
Certains de ces documents perdus se retrouveront peut être un jour dans le commerce. Ainsi on
a pu acheter à la Maison Charavay en 1967, 27 lettres adressées par Mirabeau à Sieyès et que
Sainte-Beuve citait dans ses . Causeries du Lundi
L'ensemble comporte à la fois des documents personnels à Sieyès (papiers de famille, notes autographes, correspondance) et des papiers publics qu'il détenait en raison des fonctions qu'il avait occupées.
On a classé d'abord (284AP/1 à 5) les notes autographes de Sieyès concernant ses lectures, ses
projets constitutionnels, ses idées philosophiques, politiques, économiques, etc. Certaines de
ces notes ont été consignées dans des cahiers et par conséquent ne soulèvent pas de problèmes de
classement. Mais beaucoup d'entre elles ont été rédigées sur des feuilles volantes qui ont subi
de nombreux désordres au cours des temps et, même lorsque Sieyès a pris soin, le plus souvent
dans le coin gauche supérieur de la feuille, de pré ciser l'objet de ces fiches, il est très
malaisé de rétablir cette documentation, établie par Sieyès pour son usage personnel, dans son
état primitif.
Nous avons été aidé dans cette tâche par le travail qu'avait effectué Fortoul lorsqu'il préparait son étude. Fortoul a certainement vu tous les documents qui se trouvent actuellement dans le présent fonds et il les a annotés en grande partie. Ces indications à la plume sur des documents originaux ne sont certes pas à conseiller aux chercheurs qui les consultent, mais il faut reconnaître, dans ce cas précis, que l'historien de Sieyès nous a souvent rendu service.
Il est impossible de savoir quelle était l'importance primitive de ces notes personnelles.
Sieyès passait parfois pour avoir ses projets constitutionnels davantage dans la tête que
rédigés noir sur blanc, cependant on ne peut qu'être frappé de l'indigence des manuscrits
relatifs à la période allant de l'Assemblée législative à la fin de sa vie. Il est probable
qu'il y a eu des éliminations et des destructions particulièrement sévères dans les papiers
relatifs à ces sujets et à cette période, sans qu'on puisse en préciser ni la date ni l'ampleur.
Ce qui concerne la Convention et le Directoire est particulièrement indigent et se trouve
contenu dans un seul dossier (284 AP 5, dossier 1) ; les notes relatives à la Constitution de
l'an VIII qui tiennent elles aussi dans un seul dossier (284 AP 5, dossier 2), sont un peu mieux
fournies et renferment des vues intéressantes sur le pouvoir exécutif, l'administration, les
éligibles et notamment le fameux Grand Électeur, la Juridiction. Beaucoup de ces notes sont de
véritables brouillons d'un classement difficile. Sur le document qui est le plus cohérent et qui
rassemble les idées de Sieyès sur la nouvelle Constitution qu'il aurait voulu voir s'instaurer,
il a écrit lui-même quelques années après ces phrases désabusées : " Observations
constitutionnelles dictées au citoyen Boulay de la Meurthe, membre de la Commission législative
des Cinq-Cents dans les derniers jours de brumaire de l'an VIII et qu'il m'a rendues après les
avoir fait transcrire. Nota. - Rien n'est plus incomplet et fautif que ce canevas dicté à la
hâte. C'est d'après ces idées qu'a été écrite la Constitution adoptée avec apparence de
satisfaction, changée ensuite, altérée de plus en plus et abolie enfin successivement ".
La période antérieure à 1791 est heureusement plus riche : des résumés de livres, une sorte de
catalogue d'une bibliothèque idéale, des notes sur des questions musicales accompagnées de
plusieurs cahiers d'ariettes recopiées et répertoriées avec soin de la main même du futur et
grave homme d'État, de longues études et réflexions sur des sujets philosophiques ou d'économie
politique. Il y a là une riche moisson de renseignements pour étudier la formation et la genèse
de la pensée du théoricien politique que son élection le 19 mai 1789 aux États généraux comme
député du Tiers état de Paris allait lancer dans la vie politique active. Du travail de Sieyès,
de 1789 à 1791, à l'Assemblée, nous avons heureusement de très nombreux autographes reflets de
son inlassable activité dans le domaine constitutionnel et dans la réorganisation administrative
de la France. Car si l'on a pu reprocher plus tard à Sieyès de peu écrire, au contraire, à cette
époque l'abondance de ses notes prouve son application. Comme l'a écrit Fortoul sur un dossier
(284AP/4, dossier 1) " Ainsi Sieyès apportait toutes les grandes choses faites dans sa poche sur
un chiffon de papier ". Cette remarque s'applique d'ailleurs à un dossier important de notes sur
l'activité et les discours de Sieyès du 10 au 17 juin 1789 où il joua un rôle de premier plan
dans les tentatives faites pour réunir les deux ordres privilégiés au Tiers état dont il était
membre, quoique ecclésiastique. Les autres textes autographes comprennent surtout des études,
des mémoires, des brouillons de discours pour le Comité de Constitution (notamment la division
en départements et communes), sur le rôle du roi et du pouvoir exécutif avec des propositions
particulièrement hostiles à Louis XVI après Varennes, sur le sort futur des classes privilégiées
et notamment du Clergé et de sa dîme, sur les questions judiciaires et surtout sur les " deux
formes de la force publique " l'armée et la garde nationale.
Cette documentation autographe malgré ses lacunes, malgré son utilisation, d'ailleurs très
partielle, par Sainte-Beuve, permettra de prendre une idée plus neuve, plus directe des idées de
Sieyès, de ses méthodes de travail, et de le surprendre " dans l'intimité de sa méditation et de
son intelligence " (Sainte-Beuve, , tome V, p.
200.). Causeries du Lundi
L'essentiel des autres papiers de ce fonds, qui sont surtout, peut-on dire, des témoins
extérieurs, étrangers, de l'activité de l'homme d'État, sont formés par la correspondance ou les
mémoires reçus. Ils ont été rangés suivant les grandes périodes chronologiques de la vie de
Sieyès. Comme ses notes autographes ils sont inégalement riches suivant les années. On a rangé
parfois dans cette seconde partie du fonds Sieyès des papiers et mémoires autographes mais qui
étaient trop liés à l'activité politique de Sieyès (comme lors de ses négociations avec les
Bataves sous la Convention ou son ambassade à Berlin sous le Directoire) pour être dissociés et
rangés dans la première partie. Les documents sur les biens de Sieyès et les membres de sa
famille sont extrêmement indigents, on les a rassemblés dans 284 AP 6.
Les premiers documents remontent à 1787. Sieyès, à ce moment, est âgé de 39 ans puisqu'il est
né à Fréjus le 3 mai 1748. Il est venu à Paris étudier au séminaire de Saint-Sulpice et à celui
de Saint-Firmin. Ordonné prêtre en 1772, il est attaché depuis 1775 à la fortune de Mgr de
Lubersac, évêque de Tréguier et séjournera de temps à autre dans cette ville. En 1780, il suivra
son évêque à Chartres et il y sera l'un de ses vicaires généraux puis grand vicaire.
Un an auparavant il avait été nommé chapelain de Madame Sophie, fille de Louis XV et, en 1781,
il peut entrer en jouissance d'un canonicat de la collégiale de Pignans dans le Var, bénéfice
dont il avait l'expectative depuis 1779. De toutes ces activités nous n'avons guère de traces
dans le présent fonds. Dans l'été de 1787 Sieyès accompagne son évêque aux eaux de Spa et dans
un voyage en Hollande. Radermacher, directeur des Indes orientales, devait se trouver aux eaux
aussi, et il rédigea pour M/gr/ de Lubersac et son grand vicaire un itinéraire qui conduisait de
Spa à diverses villes de Hollande avec retour par Bruxelles, Gand, Courtrai et Lille. Il
déconseille la ville d'Utrecht où les affaires "sont trop critiques pour passer avec toute
sûreté et confiance".
Mais au retour les affaires sérieuses vont commencer. Sieyès est nommé représentant du Clergé
à l'Assemblée provinciale de l'Orléanais. Ces assemblées provinciales prévues par Necker en juin
1787, commencèrent en fait à fonctionner à l'automne de cette même année. Les documents que
Sieyès a conservés des sessions de cette assemblée en 1787 et 1788 sont abondants. Une série de
notes autographes permettent de suivre le travail du grand vicaire. L'expérience qu'il retire
des débats, comme les mémoires qu'il prépare pour les séances, sont certainement une excellente
initiation aux grandes tâches qui l'attendent à l'Assemblée nationale (oir surtout 284AP 7,
dossier 5 et en particulier des notes de Sieyès sur les assemblées municipales). Sieyès a
conservé dans ses papiers quelques rares documents sur la convocation des États généraux à
Chartres ou à Montfort-l'Amaury. Il a gardé, rédigé de sa main, le texte des cahiers de
doléances des bailliages de Mantes et Meulan ; en revanche, nous n'avons rien concernant les
circonstances de son élection à Paris le 19 mai comme député du Tiers état, sauf le récit, fait
très postérieurement aux événements, de Prévost-Saint-Lucien, électeur, dans une lettre du 27
frimaire an VIII (284AP 16, dossier 5). L'action de Sieyès à la Constituante fut, on le sait,
extrêmement importante ; si les notes personnelles, les études théoriques sont abondantes et
intéressantes, ainsi que nous l'avons signalé plus haut, en revanche, la correspondance, les
mémoires politiques qui ne sont pas dus à sa plume, sont assez indigents. Des destructions et
des pertes accidentelles expliquent seules la disparition d'aussi nombreux papiers. L'extrême
popularité de Sieyès à cette époque et le goût de ses contemporains pour rédiger des écrits sur
les sujets les plus divers et les envoyer aux hommes politiques auraient dû au contraire nous
valoir d'abondants dossiers. Il nous reste, du moins, une relique de choix dans les vingt-sept
lettres ou billets autographes de Mirabeau qui montrent l'extraordinaire prestige de Sieyès et
l'admiration affectueuse avec laquelle le grand orateur s'adressait à lui (284 AP 8, dossier 4).
Pendant l'Assemblée législative, Sieyès ne joua aucun rôle. P. Bastid indique que l'on perd sa
trace durant cette période "Seuls ses papiers permettraient de la suivre". Hélas nous ne sommes
pas plus renseignés et aucune des très rares lettres de cette période, reçues par Sieyès et
conservées ne contient de précisions à ce sujet. Ces lettres ont été, vu leur très petit nombre,
classées avec celles de la Constituante, 284 AP 8, dossier 4. On y relève trois lettres de
Cabanis et six lettres d'un ami inconnu (R. C.) relatives aux événements du 10 août.
Si le rôle de Sieyès sous la Convention montagnarde ne s'est pas réduit seulement à "vivre"
suivant son mot célèbre, il n'a cependant pas été très actif. Toutefois la disparition de toute
correspondance antérieure à thermidor an II prouve, à l'évidence, des destructions
systématiques. Seuls ont réussi à vaincre le temps les papiers relatifs à l'élection à la
Convention (Sieyès fut élu en Gironde, dans l'Orne et dans la Sarthe et opta pour ce dernier
département) et un dossier comprenant différents mémoires et études sur le fonctionnement et la
réorganisation du ministère de la Guerre en 1793. Sieyès, en effet, était en 1793 membre du
Comité de Défense générale. Son zèle ne dut pas être bien grand car il écrivit plus tard sur le
dossier ces phrases assez désabusées "Je fus forcé de m'en occuper mais j'en étais incapable. Je
jettais à tout hazard quelques idées d'ensemble mais sans rien prétendre et sachant bien que
j'étais hors du technique de la chose" (284 AP 9, dossier 3).
Après la chute de Robespierre il passa rapidement au premier plan de l'actualité. Élu le 15
ventôse an III au Comité de Salut public, il devait y rester jusqu'au 15 messidor, pour y
rentrer à nouveau le 15 thermidor. Ce sont surtout les problèmes de politique extérieure qui
l'occupèrent alors et les papiers qui concernent cette activité sont assez abondants (ils
forment tout un carton 284 AP 10) et intéressants car ils permettent parfois de voir, par
l'intérieur si l'on peut dire, le travail de la section diplomatique du Comité de Salut public.
Sieyès disposait, à la section diplomatique du Comité de Salut public, d'un certain nombre de
collaborateurs dont deux, Otto et Reinhard, furent assez liés à son activité. Otto le suivit
plus tard à Berlin quand il y fut ambassadeur et Reinhard que Sieyès avait déjà connu en 1792 et
qui devait jouer un rôle important dans la diplomatie française jusqu'à la Restauration, fut de
longues années en rapports amicaux avec lui. La correspondance des deux hommes qui couvre
plusieurs des périodes que nous distinguons dans la vie de Sieyès, est réunie dans 284 AP 17).
Les mémoires ou la correspondance reçus par Sieyès sont le plus souvent annotés par lui ou
Reinhard (et aussi, d'une manière utile mais un peu indiscrète, par Hippolyte Fortoul). Ce sont
les affaires de Hollande qui sont le mieux représentées dans ces dossiers. Le rôle de Sieyès
avait été, en effet, essentiel. La situation était assez délicate car les chefs militaires qui
avaient conquis la Hollande, comme les conventionnels qu'on y avait envoyé, avaient fait des
promesses jugées trop généreuses par la Convention. Sieyès prit dans toutes ces négociations une
attitude très ferme, aussi bien en ce qui concerne le statut futur de la Hollande que les
limites du pays ou les indemnités à payer. Il alla d'ailleurs avec Reubell à La Haye du 17 au 28
floréal an III pour y négocier le traité. Si quelques rares textes officiels conservés dans ses
papiers se retrouvent ailleurs, et notamment au ministère des Affaires étrangères, les minutes
autographes des lettres, un important journal également autographe sur le déroulement de toutes
les négociations, des notes personnelles utilisées lors des séances du Comité de Salut public,
et bien d'autres documents permettent de mieux discerner la part personnelle prise par Sieyès
dans toutes ces questions.
La Convention avait prudemment décidé que les deux tiers de ses membres devraient se retrouver dans les nouvelles assemblées du Directoire. Sieyès n'avait pas besoin de cette protection car il fut réélu dans dix-neuf départements, le plus souvent il est vrai sur les listes supplémentaires. Comme lors de son élection à la Convention, c'est le choix du département de la Sarthe qu'il retint pour son entrée aux Cinq-Cents. Il conserva soigneusement dans ses papiers tous les procès-verbaux de ces élections ainsi que celui de sa réélection le 25 germinal an VI, lors du premier renouvellement du corps législatif dans les Bouches-du-Rhône.
Malgré un travail estimable dans de nombreuses commissions, malgré une élection, qu'il refusa, au Directoire, rien n'a subsisté des dossiers de cette période sauf quelques pièces personnelles sur son élection à l'Institut (classe de l'économie politique) ou sur l'attentat, du reste assez bénin, dont il fut victime le 22 germinal an V (un ecclésiastique l'abbé Poulle, pour des raisons assez mal définies, tira des coups de revolver sur Sieyès qui eut deux blessures légères) et une correspondance variée mais peu intéressante.
Le 19 floréal an VI, Sieyès est nommé envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à
Berlin auprès du roi de Prusse. En réalité Sieyès avait en poche deux nominations, l'une comme
ambassadeur extraordinaire, l'autre comme envoyé extraordinaire et plénipotentaire. Il devait
essayer de faire passer la première. Si le roi de Prusse n'admettait pas ce titre (ce qui se
produisit) il présenterait la seconde. Dès le 12 floréal la nouvelle devait lui être connue car
Merlin de Douai lui envoie ce jour-là un billet lui demandant de venir le voir "pour te
communiquer une idée qui peut-être te fera plaisir et sera utile à la République". Le 13
floréal, Talleyrand demande à Sieyès de passer le voir "aux relations extérieures" à 11 heures.
Cette heure d'après le ministre ne doit pas gêner Sieyès puisqu'il est dans ses habitudes de se
lever à 10 heures. Cela lui laisse une demi-heure pour s'habiller et déjeuner, et une demi-heure
pour le trajet. 284 AP 12, dossier 1.
Sieyès semble avoir été particulièrement soigneux des dossiers constitués par ses papiers durant son séjour à Berlin car ils forment tout un carton. Ils complètent très heureusement ceux qui sont conservés au ministère des Affaires étrangères. Certes les copies de la correspondance active et passive de Sieyès avec le Département sont très fragmentaires dans notre fonds et les originaux ou les minutes se trouvent surtout dans le dépôt du Quai d'Orsay.
Mais outre la correspondance personnelle reçue durant cette période, Sieyès a conservé, le plus souvent intégralement, les dépêches reçues des autres diplomates français en Allemagne (et parfois les minutes autographes de ses réponses), correspondance qui ne se retrouve pas toujours au ministère des Affaires étrangères.
Particulièrement fournie et intéressante est la collection des lettres de nos représentants à
Hambourg (soit Marragon, ministre plénipotentiaire auprès des villes hanséatiques, soit
Parandier, qui avec le titre d'agent de la République française y joua un rôle plus officieux
mais très important) à Dresde (Helfflinger), Cassel (Rivals), Copenhague (Grouvelle, avec qui
Sieyès était lié par une amitié déjà ancienne). On retiendra surtout une longue correspondance
avec les représentants français au congrès de Rastatt, les malheureux Bonnier, De Bry et
Roberjot dont la cinquantaine de lettres, accompagnées souvent de la minute autographe de la
réponse à Sieyès sera très utile pour préciser les négociations françaises à ce congrès (voir
plus loin, 284 AP 12, dossiers 7 à 12, pour chaque poste, ce que le présent fonds apporte
d'inédit par rapport aux documents du ministère des Affaires étrangères).
Au moment même où se produisait l'assassinat de deux des diplomates français à Rastatt, à
Paris se préparait le retour de Sieyès. Devant la dégradation politique, on songeait de plus en
plus à lui et à ses idées en faveur d'une constitution où l'exécutif serait renforcé. Le 27
floréal an VII les Anciens l'élisent comme directeur à compter du 1/er/ prairial en remplacement
de Reubell qui a été éliminé par le sort. Barras lui envoie le jour même les extraits des
procès-verbaux officiels et les félicitations (284 AP 13, dossier 1). Sieyès reçut la lettre le
4 prairial et quitta Berlin le surlendemain. Le 19 prairial il était à Paris et nous avons
conservé le petit billet de Merlin de Douai l'invitant à dîner, ce que Sieyès trop fatigué dut
refuser. Benjamin Constant dès le 29 floréal avait, pour sa part, envoyé une lettre enthousiaste
au nouveau directeur : "Vous arriverez plus fort qu'homme ne le fut encore depuis la Révolution,
plus entouré du voeu général, plus investi de la confiance universelle. Toute la France est
fatiguée de médiocrité et de corruption. Toute la France a soif de vertus et de lumières" (284
AP 13, dossier 1).
Les papiers relatifs à cette période directoriale, outre l'habituelle correspondance privée
reçue [environ 250 lettres] (284 AP 13, dossiers 3 et 4), comprennent surtout des mémoires
officiels ou privés reçus par Sieyès à raison de ses fonctions. Ceux-ci complètent les documents
que l'on peut trouver dans les papiers publics. Toutefois de rapides sondages dans la série AF
III aux Archives nationales permettent d'affirmer que les documents originaux ou en copie du
fonds Sieyès n'existent pas dans cette série. De même les divers bulletins de police, 284 AP 14,
semblent inconnus jusqu'à présent et ne figurent pas dans le recueil d'Aulard, Paris pendant la
réaction thermidorienne et sous le Directoire, tome V. Les dossiers ayant trait aux finances, à
la guerre et aux relations extérieures sont les plus nombreux ; des rapports de police soit
d'origine militaire (bureau de surveillance de l'état-major général de la 17/e/ division
militaire), soit d'origine plus spécialement policière (Police secrète de Paris) sont très
complets, quasi quotidiens.
Certains papiers sont davantage personnels soit qu'il s'agisse de notes autographes prises
vraisemblablement par Sieyès lors de séances du Directoire ou de projets de nominations de
fonctionnaires, notamment à des postes financiers, comme les receveurs généraux (284 AP 13,
dossiers 2 et 15). De même, l'organisation interne du travail des bureaux du secrétariat du
Directoire, toujours assez mal connue, est éclairée par quelques dossiers sur l'état du
personnel de ce secrétariat, son organisation, l'ordre de travail des directeurs, leurs rapports
avec les ministres (284 AP 13, dossier 2). Il y a là toute une série de papiers que seul un
membre du Directoire pouvait avoir dans ses archives. On ne peut que regretter la minceur de ces
dossiers au regard de ceux qui contiennent les mémoires officiels reçus par Sieyès durant ces
fonctions. Ici aussi, il y a eu des coupes sombres.
Le travail a été encore plus radical en ce qui concerne la période du 18 brumaire. Il y a
certes les notes autographes rédigées par Sieyès pour la nouvelle constitution que nous avons
signalées plus haut ; mais les papiers qui ont subsisté sur l'activité de Sieyès dans ces jours
difficiles où rappelons-le, il fut du 19 brumaire au 4 nivôse an VIII soit une quarantaine de
jours, Consul provisoire, sont analogues à ceux de la période directoriale ; ils comportent
essentiellement des mémoires officiels (notamment un rapport de Fouché sur le travail de la
Division des émigrés au ministère de la Police générale) et une correspondance privée. Celle-ci
ne manque pas d'intérêt pour illustrer tel ou tel point de l'activité du consul provisoire. On
retiendra avant tout ce billet de Benjamin Constant, non daté, mais qui fût sûrement écrit le 19
brumaire et qui met en garde Sieyès contre "l'ajournement des conseils. Cette mesure me
paraîtrait désastreuse aujourd'hui, comme détruisant la seule barrière à opposer à un homme que
vous avez associé à la journée de hier mais qui n'en est que plus menaçant pour la République.
Ses proclamations où il ne parle que de lui, où il dit que son retour a fait espérer qu'il
mettrait un terme aux maux de la France, m'ont convaincu plus que jamais que dans tout ce qu'il
fait, il ne voit que son élévation. Il a cependant pour lui les généraux, les soldats, la
populace aristocratique et tout ce qui se livre avec enthousiasme à l'apparence de la force. La
République a pour elle, vous et certes c'est beaucoup, et la représentation qui mauvaise ou non
sera toujours propre à mettre une digue aux projets d'un individu..." (284 AP 16, dossier 3). On
y trouvera aussi le billet de M/me/ de Lafayette du 6 frimaire an VIII demandant audience à
Sieyès pour annoncer le retour en France de son mari et lui remettre la lettre qu'il lui a
écrite "Vous exprimâtes dès votre arrivée au Directoire le voeu d'établir la République sur les
bases de la liberté et de la justice, de réunir autour de vous vos compagnons de 89 et de revoir
La Fayette". Mais le dossier est surtout riche de nombreuses lettres de recommandation qui
prennent toute leur valeur quand on connaît le rôle joué par Sieyès dans la désignation des
membres des nouvelles assemblées. L'essentiel, cependant, a disparu et nous demeurons sur notre
faim.
Après quoi, il ne reste guère de documents. Le rôle de Sieyès devient rapidement nul.
Président du Sénat à partir de nivôse an VIII, ce titre lui est enlevé le 16 thermidor an X
quand la Constitution de l'an X eut confié cette présidence aux consuls. Pour consoler Sieyès,
Bonaparte le nomme le 18 thermidor grand-officier de la Légion d'honneur puis plus tard, le 3
avril 1813, grand-croix de l'Ordre impérial de la Réunion institué à l'occasion de la réunion du
royaume de Hollande à l'Empire. En juin 1808, Sieyès avait été fait comte de l'Empire. Il a
conservé les papiers officiels concernant tous ces honneurs y compris la désignation de ses
armoiries et la description de sa "livrée" que lui envoie le secrétaire général du Conseil du
sceau des titres (284 AP 16, dossier 4). Le député du Tiers état d'autrefois a vieilli !
A côté de ces honneurs, les récompenses matérielles ne manquaient pas. Celles qui lui furent
attribuées en l'an VIII et notamment le château de Crosne valurent à l'ancien consul quelques
quolibets ; des revenus, un confortable traitement de sénateur joints à un train de vie très
modeste permettent à Sieyès de faire de belles économies. (En fait le château de Crosne n'étant
pas disponible, on affectera plus tard en échange à Sieyès d'autres domaines. Parmi ceux-ci
figurait l'hôtel de Monaco, rue Saint-Dominique que Sieyès revendit en 1808 à Davout.
L'inventaire du mobilier de l'hôtel en l'an VIII et en 1808 a été conservé. 284 AP 6, dossier
2). En 1812 il achète à Vauxelles, près de Valenciennes, un domaine de 237 hectares pour 500 000
francs soit 2 millions environ de nos francs actuels (284 AP 6, dossier 1. De même Sieyès semble
avoir songé en floréal an VIII à acheter une maison à Versailles. 284 AP 16, dossier 5).
Privé d'activité politique, allant rarement aux séances du Sénat dont il était resté membre,
Sieyès revint aux études philosophiques qui avaient enchanté sa jeunesse (284 AP 5, dossier 3).
On ne lui écrit plus maintenant pour solliciter des places dans des assemblées politiques, mais
pour être élu à l'Institut (284 AP 16, dossier 5). Comme beaucoup, Sieyès allait renier
l'Empereur sans grave crise de conscience, dans les jours difficiles de mars et d'avril 1814.
Est-ce humour noir ? Est-ce par esprit de vengeance contre l'oubli et le repos qu'on lui avait
imposés ? Toujours est-il qu'il a conservé avec beaucoup de soin tous les papiers officiels du
Sénat conservateur qu'il reçut à l'occasion de ces tristes événements et du vote de la déchéance
de l'Empereur (284 AP 16, dossier 4). Cependant, durant les Cent jours, Napoléon le nomma pair
de l'Empire, mais sans que cela fit sortir Sieyès de son apathie. Après quoi, sous les Bourbons,
l'exil à Bruxelles vint frapper le régicide. Même s'il n'est pas prouvé qu'il vota la
condamnation de Louis XVI avec cette formule lapidaire mais peu chrétienne pour un ancien
ecclésiastique : "La mort, sans phrase", son passé le désignait suffisamment à la haine du
nouveau régime pour que son exil dura jusqu'aux journées de juillet.
Mais c'est un Sieyès extrêmement diminué physiquement et intellectuellement qui revient en France en 1830 et il ne mena plus jusqu'à sa mort, le 20 juin 1836, qu'une vie purement végétative.
Les documents qui constituent ce fonds présentent comme nous l'avons signalé à plusieurs
reprises, de regrettables lacunes. Il est impossible de savoir où et par qui ces fâcheuses
opérations ont été menées. L'esprit de prudence de Sieyès a dû le conduire à effectuer lui-même
de fréquentes coupes sombres. Sa vie agitée pendant de nombreuses années, son exil, n'ont pas dû
non plus favoriser une bonne conservation de ses papiers (on a vu plus haut le sort qui avait
été réservé aux papiers de Chazal à Bruxelles).
Tel qu'il est le présent ensemble est loin d'être à dédaigner comme source d'information pour
l'étude de la vie du grand révolutionnaire. Les notes autographes ont les qualités et les
défauts de cette documentation de première main. D'une utilisation difficile par suite
précisément de leur caractère très personnel, elles apportent sur la genèse de la pensée et sur
les idées de Sieyès des renseignements d'une valeur et d'une fraîcheur qui manquaient jusqu'à
présent. Les autres dossiers, même s'ils conservent surtout des documents officiels, par leur
utilisation et leur annotation, par la correspondance personnelle, qui les accompagne,
permettront désormais de vivifier toute étude sur Sieyès d'une touche plus colorée et concrète.
Dans cette correspondance, un classement particulier a été donné aux principaux amis de Sieyès
dont les lettres, plus abondamment conservées, recouvrent une longue période de sa vie. 284 AP
17. Il s'agit notamment de Clément de Ris et sa famille (le dossier comprend quelques lettres
sur la "ténébreuse affaire" sans éclairer malheureusement les circonstances de l'enlèvement du
sénateur), de Reinhard, d'OElsner, d'Otto, de Kerner, etc.
Cote :
284AP/1-284AP/19
Publication :
Archives nationales
1970
Informations sur le producteur :
Sieyès, Emmanuel-Joseph (1748-1836)
Informations sur l'acquisition :
Don de M. et Mme Jean de Pennart (1967-1968) complété par des achats (1968-2000).
Références bibliographiques :
BIBLIOGRAPHIE
Il a semblé inutile de donner ici une bibliographie relative à Emmanuel Sieyès puisque le travail souvent cité de P. Bastid,
, donne p. 316-322 une bibliographie des oeuvres de Sieyès et p. 626-635 une bibliographie des travaux consacrés à l'homme d'État ainsi qu'un relevé des sources manuscrites.
Sieyès et sa pensée
Aucun travail important n'a paru depuis. M. Bastid se propose, du reste, de publier une nouvelle édition de son livre qui tiendra compte des documents figurant dans le présent fonds.
Signalons enfin que M/lle/ Adler-Bresse achève une thèse de doctorat sur
qui utilisera notamment des documents inédits concernant Sieyès se trouvant dans des dépôts publics ou des collections particulières allemandes.
Sieyès et l'Allemagne
Localisation physique :
Pierrefitte
Identifiant de l'inventaire d'archives :
FRAN_IR_000723