Page d'histoire : Présentation du Pélerinage à l'île de Cythère de Watteau 28 août 1717

Pèlerinage à l’île de Cythère, dit L’Embarquement pour Cythère, Paris, musée du Louvre.

Le samedi 28 août 1717, dans la salle de séance de l’Académie royale de peinture et de sculpture sise au Louvre, un artiste de trente-trois ans, fluet et introverti, présentait son morceau de réception. Au bas du procès-verbal apparaît la signature de l’impétrant : Vateau. L’assistance ne comptait pas moins de quarante-trois présents en ce jour d’assemblée générale présidée par Antoine Coypel, premier peintre du roi. Ce roi avait sept ans et la France s’éveillait à la modernité sous la houlette du Régent, Philippe d’Orléans. Le 22 décembre 1716, écrivant à la pastelliste Rosalba Carriera, le collectionneur Pierre Crozat ne voyait qu’un seul artiste français digne de lui être présenté, Antoine Watteau. Le Pèlerinage à l’île de Cythère se situe précisément à un moment de suspens de l’art français, à la charnière entre deux siècles, deux règnes, deux manières d’être. Du « rococo », il est en quelque sorte l’oeuvre fondatrice, même si on peut douter que Watteau ait eu conscience de l’importance de son tableau pour le développement de l’art français des quarante années suivantes. Phtisique, Watteau meurt le 18 juillet 1721, moins de quatre années après sa réception à l’Académie. Tout est un peu mystérieux dans le Pèlerinage, grand tableau de 4 pieds de haut sur 6 pieds de large (1,29 × 1,94 m) que Watteau mit cinq années à rendre. La difficulté de Watteau à peindre était connue ; Pierre Crozat en avait fait la confidence à Rosalba Carriera : « s’il a quelque deffaut c’est qu’il est très long dans tout ce qu’il fait ». Rien ne transparaît pourtant de l’effort fourni sur cette toile peinte d’un pinceau fluide et léger, sans beaucoup de repentirs. Il est probable que l’artiste a pensé longtemps sa composition, mais qu’il l’a exécutée rapidement, quand il n’a plus eu d’autre choix. Fait rare, le sujet a été laissé à la volonté du peintre. Ce sera le thème mi-galant mi-allégorique du Pèlerinage à l’île de Cythère. Le titre fut toutefois biffé sur le registre de l’Académie et remplacé par Une feste galante. Dans le langage de l’époque, évoquer Cythère – lieu de naissance de Vénus –, c’était désigner l’amour physique avec des mots choisis. Il en était de même dans l’iconographie picturale, où l’érotisme ne pouvait apparaître que sous des formes codifiées : le corps dénudé de Vénus – représentée ici en sculpture –, les amours ailés et surtout la nacelle fabuleuse accostée en contrebas, symbole de l’amour accompli dans l’Amorum emblemata d’Otto van Veen (1608). Ces motifs puisés à l’école des grands maîtres, Rubens surtout, ne sont toutefois que des adjuvants au propos de Watteau, qui est d’exprimer en costume moderne le récit universel du désir et de la séduction. Trois couples d’amoureux, qui n’en font qu’un, en résument les étapes, depuis les premiers mots d’amour susurrés, genou à terre, par un galant, jusqu’au triomphe des deux amants dominant le panorama grandiose d’une Grèce mythique. Un détail vestimentaire symbolise la conquête : la capeline du pèlerin, qui, absente des épaules de la femme à séduire, est chez les autres la marque du consentement. Mais si Watteau a traversé les siècles et nous parle si fort, c’est par une manière incomparable d’exprimer la grâce et les affects de ses personnages, galants aux subtiles inflexions du corps, telle sa « coquette » du premier plan avec ses yeux baissés de prude, ses mains qui s’agacent sur un éventail, le rouge qui lui monte aux joues sous le feu du désir et des compliments.

Marie-Catherine Sahut
conservateur en chef honoraire du patrimoine, ancienne responsable de la peinture française du XVIIIe siècle au musée du Louvre

 

Source: Commemorations Collection 2017

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