Page d'histoire : Louis Antoine de Saint-Just Decize (Nièvre), 25 août 1767 – Paris, 10 thermidor an II (28 juillet 1794)

Saint-Just, dessin à la pierre noire avec rehauts de blanc, non signé, fin du XVIIIe siècle, archives départementales de l’Aisne.

Paul Valéry écrivait dans ses Cahiers du matin : « Je suis rapide ou rien. » Le mot pourrait caractériser Saint-Just qui, d’ailleurs, a fait l’apologie du « laconisme ». Pensée fulgurante, parole aiguë (« tout roi est un rebelle et un usurpateur »), éloge de la rapidité d’exécution, qu’il met lui-même en pratique deux fois aux armées (armée du Rhin, d’octobre 1793 à janvier 1794, troupes du Nord de fin janvier au 9 février 1794 organisant le triomphe de Fleurus) : Louis Antoine de Saint-Just a mérité ses appellations diverses, comme « archange de la Révolution » ou « ange de la mort », exhibant l’impétuosité de la jeunesse et un beau visage peint par Prud’hon. À vingt-deux ans, il est lieutenant-colonel de la garde nationale, il se met en l’an II au service du gouvernement de salut public qui devra être « révolutionnaire jusqu’à la paix », il exerce la dictature et la Terreur sur les « fédéralistes » supposés tels, les Girondins ne l’ayant en fait jamais été. Saint-Just prend la première place parmi les Montagnards et les Jacobins qui ont rêvé à la « régénération » comme production d’un homme nouveau, sincère, probe, vertueux : créer une société, annonce-t-il, telle qu’en résulte « une pente universelle vers le bien ». Parmi ceux aussi qui, à travers les décrets de Ventôse (26 février et 3 mars 1794), voulaient affirmer que la Révolution est faite pour les pauvres et que « les malheureux sont les puissances de la terre ». Contre les sentiments égoïstes et contre les riches, il montre une passion purificatrice qui pourrait étonner chez ce fils de cultivateur (fait chevalier de Saint-Louis aux armées), éduqué à Soissons chez les oratoriens (comme beaucoup de dirigeants de la Révolution), incarcéré pour dissipation (plainte de sa mère et lettre de cachet), auteur d’un poème licencieux et même pornographique (Organt). Mais la Révolution pousse dans la lumière des personnalités inattendues. La politique de Saint-Just durant deux années systématise l’idée de son maître à penser, Robespierre : toute « faction » est un complot dans la République. Ce fut son dernier mot avant que Tallien ne lui ferme la bouche à la tribune, le 9 Thermidor : « Je ne suis d’aucune faction : je les combattrai toutes. » La passion unitaire – très répandue depuis 1789 car c’est un héritage monarchique et catholique –, la passion purificatrice sont des constantes de sa politique. Comme plus tard Jean-Paul Sartre dans la Critique de la raison dialectique, Saint-Just constate que la « fraternité-terreur » (Sartre dixit) conduit à la glaciation des énergies : « Tout le monde veut gouverner, personne ne veut être citoyen. » Pourtant l’Antiquité lui paraissait promettre autre chose : « Le monde est vide depuis les Romains », s’exclamait-il, comme si la Révolution eût dû réengendrer le passé.

Lucien Jaume
directeur de recherches au CNRS
Centre de recherches politiques de Sciences Po

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Source: Commemorations Collection 2017

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