Page d'histoire : Jean-Baptiste Godin Esquéhéries (Aisne), 26 janvier 1817 – Guise (Aisne), 15 janvier 1888

Jean-Baptiste André Godin à l’âge de 62 ans, photographie anonyme, 1879, Guise (Aisne), Familistère de Guise.

Quand le capitalisme triomphant donne corps à une utopie socialiste, cela s’appelle Godin, ses poêles et son familistère. Né dans la Picardie de la filature et de la betterave, Jean-Baptiste Godin a très tôt l’idée de remplacer les appareils de chauffage en tôle par de la fonte. Ce  matériau a en effet des vertus calorifiques très supérieures et résiste mieux aux fortes températures. Son mariage lui apporte dot et soutien, ce qui lui permet de lancer son activité Il s’installe dans l’Aisne, dans le village de Guise, qui est désormais marqué par cette histoire. Godin se rend célèbre pour le travail artistique de ses poêles : ce ne sont pas de simples objets fonctionnels, mais de véritables œuvres d’art. Grâce à la maîtrise de l’émail, ses poêles de fonte deviennent polychromes, se muant en objets de décoration et d’ameublement. C’est un avantage concurrentiel important : on ne cache plus les poêles dans les foyers et on peut même en faire l’élément central de la pièce. Si nous sommes encore loin de l’équipement électroménager du XXe siècle, c’est toutefois le début de la mécanisation des maisons. Godin se rattache à ce bouillonnement technique et industriel du XIXe siècle et témoigne du fait que la France ne s’est pas uniquement bâtie par les armes et par la plume, mais aussi par l’entreprise et par l’innovation. Rendre hommage à Jean-Baptiste Godin, c’est célébrer la longue histoire de l’aventure industrielle et commerciale du pays. Entrepreneur et commerçant, Godin est aussi féru de doctrine sociale. Passionné par Fourier, il cherche à appliquer sa vision du phalanstère à ses ouvriers. Pour cela, il achète un vaste terrain à Guise (1857), qu’il fait aménager pour y bâtir son familistère. Il se compose de trois blocs construits en brique organisés autour de cours intérieures. En 1870, il regroupe 900 habitants, y compris Godin, dont toute la vie est réglementée. Balades, sports et fêtes, caisses de mutuelle, approvisionnement en nourriture, écoles, ce Palais social a des allures de caserne. À la mort de Godin, ce sont 1 800 personnes qui y vivent. Si elles y sont peut-être heureuses, les critiques ne manquent pas à l’égard de cette expérience sociale. On dénonce un palais de verre, où toute vie privée est impossible, on attaque le rêve fou d’un entrepreneur qui veut réglementer la vie de ses salariés. Lui qui a les moyens de réaliser son utopie est attaqué par ceux dont les souhaits restent au stade des rêveries. « Ce n’est pas la réalisation du bonheur que j’ai inaugurée, ce n’est qu’un allègement aux souf frances de la classe ouvrière », écrit-il dans une lettre de 1866. Un « allègement » regardé comme une curiosité, mais qui est toujours habité, même si une partie est aujourd’hui musée.

Jean-Baptiste Noé
historien, écrivain

Pour aller plus loin...

Source: Commemorations Collection 2017

Liens