Page d'histoire : Pierre Bonnard Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), 3 octobre 1867 – Le Cannet (Alpes-Martimes), 23 janvier 1947

Pierre Bonnard a été longtemps considéré comme un artiste classique français. Sa réputation de peintre du bonheur, établie par les critiques de l’entre-deux-guerres, s’explique probablement par sa modestie et l’absence d’analyse de la complexité de son art. Soixante-dix ans après sa mort, ce jugement réducteur a été revu et l’oeuvre admiré par des millions d’amateurs lors d’expositions organisées dans le monde entier. Bonnard est aujourd’hui réputé comme l’un des plus grands coloristes modernes.

Suivant des études de droit conformément à la volonté de son père, il manifeste tôt une vocation artistique. En 1885, il dit être pris de « fureurs de peinture » quand il visite le Salon. Parallèlement à sa licence de droit, Bonnard s’inscrit aux cours de dessin de l’académie Julian puis à l’École des beaux-arts de Paris. Il fait des rencontres importantes pour l’orientation de son art avec Paul Sérusier, Maurice Denis, Paul Ranson, Henri-Gabriel Ibels, Édouard Vuillard, qui forment, en 1888, le groupe des nabis dont Bonnard est l’un des fondateurs. Parmi ses condisciples, il est probablement le plus séduit par l’exposition sur la gravure japonaise organisée en 1890 à l’École des beaux-arts. L’influence de l’ukiyo-e lui vaut le surnom de « nabi très japonard ». En 1890-1891 Bonnard exécute sa première œuvre importante, un paravent à quatre feuilles, Femmes au jardin, qu’il démantèle juste avant de l’exposer au Salon des indépendants de 1891.

Bonnard s’inspire du spectacle de la vie moderne dans sa peinture et ses gravures. Il rêve d’un art vivant, sans hiérarchie entre les genres. En 1893, sa rencontre avec Marthe de Méligny est décisive. Omniprésente dans son œuvre, Marthe n’est cependant ni l’unique modèle ni la seule femme aimée par Bonnard comme l’a longtemps voulu la légende. En 1916, le peintre s’éprend de Renée Monchaty, une amie de Marthe, tandis qu’il entretient une liaison avec Lucienne Dupuy de Frenelle. La vérité sur la vie amoureuse de Bonnard, révélée par Antoine Terrasse, petit-neveu de l’artiste, dévoile un artiste à la sensibilité cardinale, amoureux de la beauté féminine jusqu’à la fin de sa vie.

Les femmes, les enfants, les animaux, la nature sont omniprésents dans sa peinture, ses dessins, estampes, photographies, sculptures et dans ses grands décors. La sensualité de l’artiste, alliée à une vaste culture artistique et littéraire, lui inspire des œuvres audacieuses comme L’Indolente, ou La Sieste, proches des illustrations qu’il réalise pour l’édition de luxe de Parallèlement de Verlaine en 1900. Au tournant du siècle, Bonnard façonne ses premières sculptures à l’instigation de Vollard. Des collectionneurs l’encouragent dans son travail en achetant des tableaux ou en passant commande de décors, comme Misia, l’ancienne épouse de Thadée Natanson, son frère Cipa Godebski et son épouse Ida, les suisses Arthur et Hedy Hahnloser. La carrière de Bonnard prend une dimension internationale avec le collectionneur moscovite Ivan Morosov, pour lequel il réalise en 1910-1911 un décor monumental en triptyque : La Méditerranée. Sa réputation traverse l’Atlantique grâce aux tableaux acquis par Duncan Phillips, fondateur de la Phillips Collection à Washington, qui rassemble des peintures majeures de Bonnard.

Grâce au soutien de ses marchands, Gaston et Josse Bernheim, la prospérité du peintre s’accroît. En 1912, il achète une petite maison à Vernonnet, en bordure de Seine, qu’il appelle « Ma Roulotte ». Séduit par le paysage et par le foisonnement de son « jardin sauvage », il peint des vues panoramiques et des pièces avec des portes-fenêtres permettant de juxtaposer dans un même espace intérieur et extérieur. La proximité de Giverny lui offre l’occasion de fréquentes visites à Monet. Bonnard partage sa vie entre Paris, la Normandie, Arcachon, le Midi. Il aime voyager et visiter les musées, se rendant à plusieurs reprises à Londres en compagnie de Vuillard, en Espagne, en Italie, en Suisse, en Algérie, en Tunisie et aux États-Unis en 1926. Si les grands espaces l’attirent, Bonnard reste un peintre de l’intimité. Il aime représenter sa famille et ses proches dans des situations ordinaires : repas, conversations, scènes de jardin. La santé de Marthe exigeant des soins hydrothérapiques, il réalise de nombreux nus dans la salle de bains. L’eau, la lumière, l’espace composent un environnement fluide, coloré et lumineux où le sujet se dissout dans la couleur. À la suite du suicide de Renée Monchaty, en août 1925, les nus à la toilette se complexifient. L’espace se déforme, la peinture vibre de nuances nacrées et de tonalités lumineuses. Son amitié avec Signac et Matisse le conforte dans la voie de la couleur qu’il approfondit dans le Midi. « J’ai eu un coup des Mille et Une Nuits », écrit-il à sa mère après un séjour à Saint-Tropez en 1909. Fidèle à la Côte d’Azur, il achète en 1926 au Cannet une villa située sur les hauteurs. Le Bosquet, qui appartient toujours à la famille du peintre, reste tel que l’a immortalisé Henri Cartier-Bresson au cours de visites à Bonnard en 1944.

Isabelle Cahn
conservateur en chef des peintures au musée d’Orsay

Source: Commemorations Collection 2017

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Peinture

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