Page d'histoire : Jean-Louis Curtis Orthez (Pyrénées-Atlantiques), 22 mai 1917 – Paris, 11 novembre 1995

Lorsque Michel Houellebecq, personnage double de l’auteur, assène dans La Carte et le Territoire : « vous vous en foutez de Jean-Louis Curtis, vous avez tort d’ailleurs », il relance sur la scène un auteur « vraiment subtil » quelque peu oublié de la mémoire collective. Au gré de la promotion du livre, voilà le nom de Jean-Louis Curtis qui revient sur les lèvres, qui renaît sous la plume des critiques fébriles : il y a urgence à relire l’oeuvre de cet académicien si présent dans le monde des lettres de la seconde moitié du XXe siècle.

Né à Orthez en 1917, Jean-­Louis Curtis, de son vrai nom Albert Laffitte, manifeste dès le plus jeune âge son goût prononcé pour la littérature. Admirateur passionné de Barrès et de Montherlant, formé par la lecture des romanciers du XIXe siècle, il est remarqué par Mauriac qui lui reconnaît « le don que Dieu n’accorde qu’au petit nombre ». Fort de cette consécration, il enchaîne les succès d’écriture. Après un premier roman, Les Jeunes Hommes en 1946, il obtient le prix Goncourt pour Les Forêts de la nuit en 1947 devant Maurice Druon. Dans ces pages sèches, refusant toute éloquence, Curtis met en scène une comédie humaine de province où chacun s’arc­boute sur les vestiges d’une autorité ruinée par la tourmente de l’après-­guerre : les aristocrates sont empreints de vaine noblesse, les bourgeois gonflés d’une puissance usurpée. Il excelle d’ailleurs dans cette peinture sociale qui va nourrir toute son œuvre et, roman après roman, promène son regard sensible et acéré sur les dérives de son époque. Esprit conservateur, gaulliste de la pre­mière heure, il laisse le soin à ses héros de s’enthousiasmer de la modernité ou bien de s’en agacer.

Mais ce serait réduire Jean-­Louis Curtis que de l’enfermer dans la seule peinture des mœurs de son temps ; c’est un lecteur insatiable, amoureux de la langue au point d’en chercher l’essence dans de savoureux pastiches où il pratique l’irrévérence douce à l’égard de prestigieux prédécesseurs comme Proust, Chateaubriand ou même Valéry. Langue française, langue anglaise, le plaisir est le même et l’agrégé d’anglais qu’il est n’oublie pas les élans de Shakespeare. Traducteur sensible, il adapte les grands noms de la littérature anglaise pour la scène et pour l’écran. C’est donc un homme de lettres brillant, romancier, essayiste, au génie polymorphe que Michel Droit accueille sous la coupole le 4 décembre 1986 pour succéder à Jean­Jacques Gauthier. Il arbore ce jour-­là l’épée que lui ont offerte les Orthéziens. Et sur le pommeau de cette épée se dessine ce qu’il a toujours été : « un tigre brillant dans les forêts de la nuit ».

Pascale Rollin
professeur agrégé de lettres classiques

Pour aller plus loin

Voir aussi la notice biographique de Jean-Louis Curtis sur le site de l'Académie française.

Source: Commemorations Collection 2017

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