Page d'histoire : Création du Faust de Gounod Paris, Théâtre Lyrique, 19 mars 1859

Comme tous les jeunes romantiques de sa génération, Charles Gounod a été fasciné par le Faust de Goethe, admirablement traduit en français par Gérard de Nerval en 1828. Dans son autobiographie, il écrit : « j’avais lu Faust en 1838, à l’âge de vingt ans, et lorsqu’en 1839 je partis pour Rome comme grand prix et pensionnaire de l’Académie de France, j’avais emporté le Faust de Goethe qui ne me quittait pas ». À la Villa Médicis, Gounod prend des notes et consigne des idées sur le sujet, avant de le laisser dormir pendant dix-sept ans. Entre-temps, Robert Schumann a composé des Scènes de Faust, et Hector Berlioz une Damnation de Faust. En 1850, Michel Carré fait même représenter à Paris, au Théâtre du Gymnase, un drame fantastique, Faust et Marguerite, avec des scènes chantées sur une musique de Couder.

Après avoir écrit, sans grand succès, Sapho, La Nonne sanglante et Le Médecin malgré lui, Gounod reprend en 1856 son projet de Faust avec la collaboration des librettistes Jules Barbier et Michel Carré. Refusé à l’Opéra, le projet est accepté par Léon Carvalho, directeur du Théâtre Lyrique. Les obstacles se dressent très vite devant Gounod : la longueur excessive du livret qu’il doit élaguer, la concurrence d’une pièce sur le même sujet au théâtre de la Porte Saint-Martin, la difficulté de réunir la distribution, enfin son état dépressif, dû au surmenage, qui nécessite un séjour à la clinique psychiatrique du docteur Blanche.

Terminé en septembre 1858, Faust doit s’effacer en février 1859 devant un ouvrage de Victor Massé, La Fée Carabosse. Gounod est contraint d’accepter plusieurs suppressions, notamment celle d’un duo d’adieu entre Valentin et sa sœur Marguerite au deuxième acte, et de toute la scène du Harz au cinquième acte. Par contre, le musicien incorpore au quatrième acte, sur les conseils du peintre Ingres, un chœur des soldats appelé à devenir célèbre : « Gloire immortelle de nos aïeux », composé à l’origine pour son opéra, laissé inachevé, Ivan le Terrible. Ainsi transformé, Faust est créé au Théâtre Lyrique, le 19 mars 1859, avec le ténor Barbot dans le rôle-titre et la soprano Miolan-Carvalho, dans celui de Marguerite. À en croire Carvalho, Barbot, et Gounod lui-même, l’ouvrage est mal accueilli par le public. La presse spécialisée est très divisée. Dans La France musicale, Léon Escudier écrit : « Tout ce qui se chante est morne, incolore, sans feu ». Par contre, Hector Berlioz déclare dans Le Journal des Débats : « J’ai dit en parlant de La Fée Carabosse : ce pourrait bien être le succès de la veille. Faust est à coup sûr le succès du lendemain. » De son côté, Ernest Reyer admoneste ainsi les détracteurs de Gounod dans Le Courrier de Paris : « Taisez-vous, troupes de mouches, car le chœur des enthousiastes s’avance et va couvrir de sa grande voix vos monotones bourdonnements. »

Donnant raison à Reyer, Faust n’a plus quitté l’affiche des théâtres du monde entier jusqu’à nos jours, devenant un des opéras les plus joués au même titre que Carmen ou La Bohème.

André Segond
historien de la musique

Source: Commemorations Collection 2009

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